Devant le succès de l’histoire de « La Kahéna » parue il y a vingt-trois ans, Didier Nebot, stomatologue de profession et passionné d’histoire juive, nous propose une nouvelle édition remaniée de « La Reine des sables ». À travers la réhabilitation de ce personnage, l’auteur s’emploie à apporter la preuve que le Maghreb n’a pas toujours vécu sous l’influence arabo-musulmane, mais que la religion et la culture juives ont laissé des traces prégnantes chez les Berbères, c’est-à-dire dans l’Algérie actuelle. La deuxième partie du livre intitulée, « Essai historique », apporte des connaissances historiques et un étayage intéressant quant aux évènements retracés dans le roman.
Tout commence en 118 apr. J.-C. en Cyrénaïque, quand les juifs s’allient à des Libyens pour fuir les Romains, en s’installant comme nomades dans les régions subsahariennes de la Numidie. La tribu dominante, celle des Djéraoua, pratique un judaïsme non écrit et rudimentaire, alors que dans le même temps, les juifs sédentaires érudits restés dans les villes organisent les synagogues. Grâce à la domestication du chameau, elle s’impose rapidement aux autres tribus païennes berbères. Plusieurs siècles plus tard, les Vandales chasseront à leur tour les Romains de la Cyrénaïque, permettant ainsi aux Djéraoua de remonter vers le nord, dans le massif de l’Aurès, en Numidie. Mais en 669 apr. J.-C., les Arabo-musulmans commencent la guerre sainte et chassent à leur tour les Vandales pour conquérir l’Ifriquiya. C’est alors que débute l’histoire de la Kahéna dont le père, Tabet l’Aaronide est le chef des Djéraoua. Celui-ci attend l’arrivée de Koceila, le berbère chrétien chef des Ouaréba qui vient le solliciter au nom des Grecs de Carthage, pour battre les musulmans avec, à leur tête Ocba Ibn Nafi, fondateur de Kérouan.
La Kahéna, Dahia de son vrai nom, est un personnage aux multiples facettes. Elle est d’abord une princesse, fille unique du chef des Djéraoua (ce nom vient du mot hébreu « guerr » qui signifie « l’étranger », « le converti »). Ce sont des Botr, nomades de culture orale, méprisés par les juifs de Carthage, sédentarisés et instruits. Sa mère, Malka, pratiquait le culte de Tanit avant de se convertir à la religion de son époux. Les Djéraoua se disent de « sang mêlé » : trois religions sont pratiquées, juive, chrétienne et païenne, dans le même temple de Bagai.
Dahia est d’abord une prophétesse : enfant originale, possédant le don de divination, elle guérit les animaux et les hommes, est hantée par ses rêves prémonitoires, sauve les siens de la mort, trouve dans le désert la fameuse pierre appelée « Porte du ciel », et découvre une source miraculeuse dans le désert. Rien n’échappe à son regard pénétrant. C’est pourquoi, bien qu’elle soit le seul espoir de son père, celui-ci la craint ; il aurait préféré qu’elle parte à la place de son frère, mais Dieu en a décidé autrement. Devenue une jolie jeune fille, Dahia est aussi une féministe avant l’heure. Elle prêche pour l’égalité homme-femme, voudrait être un homme pour plaire à son père et servir son peuple. C’est alors qu’entre en scène l’amoureuse. Le jour où sa nourrice lui annonce son mariage avec Mouhed, un marchand fourbe et avide, elle fuit dans la forêt où elle rencontre Serkid, messager grec venu de la part de Koceila. Bien qu’elle l’ait soigné et aimé, le chrétien repart chez les siens à Carthage, et Dahia se voit obligée de mettre au monde son enfant Saadien, loin de chez elle, en secret. Mère sacrifiée, elle aura un autre enfant de Mouhed, son époux cruel qui prend le pouvoir à la mort de Tabet. Profondément révoltée par l’attitude de son mari à l’égard de son peuple, elle l’élimine et se proclame chef de la tribu. Ainsi naît la Kahéna, « l’élue », celle qui « guide le peuple ». Commence alors l’apogée de son règne : adulée par les siens, crainte par ses ennemis, elle n’aura de cesse de combattre pour la liberté de son peuple, réunissant à plusieurs reprises autour d’elle les tribus dispersées. Seul Hassan, l’émir patient, aura raison d’elle. Aidé de Khaled, enfant adoptif de Dahia, il parvient à vaincre cette tribu affaiblie par les famines et abandonnée par ses alliés Bérénes. Prévenue dans un rêve de sa fin proche, Dahia affronte son destin avec le courage et la grandeur dont elle a su faire preuve tout au long de sa vie. « La race des Djéaoua ne doit pas s’éteindre » dit-elle à son peuple ; « C’est pourquoi je vous ordonne de vous rendre aux Arabes. Telle est ma volonté. » C’est dans cette mort donnée par celui qu’elle reconnaît comme étant son maître, qu’elle atteint sa dimension tragique.
« La princesse du désert » n’est donc pas seulement une belle féministe assoiffée de liberté et de pouvoir. Elle est aussi le symbole de cette union arabo-juive qui aurait pu être ; un message de paix nous est délivré.
Dans un style épuré et évocateur, nous rappelant la sensualité qui se dégage des tableaux de Delacroix ou de certaines pages de Salammbô, l’auteur parvient à rendre proche cette période marquée par les guerres et les conflits ; entre Grecs et Romains, juifs, chrétiens et musulmans, nomades et sédentaires, peuples de l’oral et peuples de l’écrit, se joue une lutte incessante pour dominer l’autre, l’étranger, mais aussi pour tenter de l’assimiler. Une belle lecture qui nous plonge dans l’histoire de cette région pour mieux éclairer l’actualité.
Marie-José DESCAIRE
article@marenostrum.pm
Nebot, Didier, « La reine des sables : l’extraordinaire épopée de la Kahéna », Editions Erick Bonnier, « Encre d’Orient », 10/06/2021, 1 vol. 20,00€
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