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« C’est de l’hébreu pour moi ! ». C’est par cette exclamation de résignation que Julien Darmon introduit son dernier ouvrage : « La Langue Divine ». Il doit être reconnu que l’hébreu ne tient pas dans l’imaginaire collectif, la place de la langue la plus parlée, la plus facile, ou encore la plus romantique. Au contraire, les vingt-deux lettres de l’alphabet hébraïque représentent une tâche insurmontable. Apprendre l’hébreu reviendrait à pousser, tel Sisyphe, un rocher en haut d’une montagne pour que celui-ci redescende immanquablement à chaque fois qu’il atteint son but.

Il existe une véritable peur de l’hébreu, un rejet qui se meut en ridicule quand on prend conscience des similarités entre cette langue « barbare » (qu’il faut ici comprendre dans le sens de Montaigne comme signifiant « étranger ») et nos langues européennes issues du grec et du latin. Même s’il se lit de droite à gauche, n’écrit que les consonnes et comporte vingt-deux lettres, l’alphabet (alef et bet étant les deux premières lettres de son alphabet), l’hébreu est à l’origine, directe ou indirecte, de notre langue française. Julien Darmon décrit d’ailleurs la simplicité déroutante de la langue hébraïque, en comparaison avec ses ancêtres, les systèmes cunéiformes et hiéroglyphiques, mais aussi la révolution que va provoquer cette nouvelle langue dans l’histoire culturelle et socio-politique de la région du Proche-Orient. Alors que les anciens systèmes fonctionnaient grâce aux signes représentant des idées, créant ainsi un nombre de combinaisons incalculables, la langue cananéenne (avant qu’elle ne devienne l’hébreu) est économe. Elle ne comprend que vingt-deux signes, représentant chacun un son unique. Comme l’écrit l’auteur, cette révolution est considérable, car une telle langue ne nécessite plus une armée de scribes, et chacun peut la parler, la lire et l’écrire dès le plus jeune âge. Avec la langue cananéenne, la connaissance est enfin à portée de main.

Cet alphabet cananéen est donc à l’origine directe ou indirecte de la quasi-totalité des systèmes d’écriture aujourd’hui, à l’exception notable de l’écriture chinoise.

La richesse de cet ouvrage se trouve dans son originalité. Ce n’est pas un manuel de grammaire, ni un commentaire linguistique, mais une invitation. Julien Darmon présente les lettres comme on présenterait un ami. Elles ont chacune un trait de caractère précis, une fonction, une histoire. L’alef (א), première lettre de l’alphabet est une modeste. Trop humble pour demander à Dieu d’être celle qui démarrera l’alphabet, elle s’est tenue en retrait, n’a rien dit. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle est une lettre muette. Le Hé (ה), quant à lui, est symbole de féminité, voire de fertilité. Donnant un enfant à Sarah et Abraham, il change leurs noms de שרי (Saray) et אברם (Avram) en שרה (Sarah) et אברהם (Abraham). Finalement le Tav (ת), termine l’alphabet de la même manière qu’il termine la vie, étant la lettre finale du mot « mort » (מות).

La lettre sans l’esprit est un cadavre privé d’âme, mais l’esprit sans la lettre n’est qu’un fantôme. Le Verbe divin s’incarne, certes, mais dans les lettres de la Torah, les vingt-deux lettres de l’alphabet hébraïque. Rendre Dieu vivant parmi nous, en nous, n’est possible que si nous nous confrontons au texte hébraïque de la Torah pour y rencontrer le sens, et même l’infinie multiplicité de sens, qui l’anime.

Julien Darmon prend soin de rythmer son ouvrage d’anecdotes sur la langue hébraïque. Nous apprenant ainsi que le mot « Espagne » vient en réalité de l’hébreu « אי שפניא » (is pania), qui signifie « l’île aux lapins ». Les lapins n’existant pas en terre de Canaan, les habitants de cette contrée ont été surpris en découvrant cet animal, alors qu’ils se trouvaient dans la péninsule ibérique. Le surnom qu’ils lui ont donné a ensuite été transmis dans le langage courant donnant son nom à l’Espagne.

Selon l’expression du Talmud donnée dans l’ouvrage : « chaque lettre recèle des secrets insondables, et la moindre erreur est susceptible de détruire des mondes ». Ceci est, pour moi, une raison suffisante de s’atteler à l’apprentissage de l’hébreu. Ceux qui ne sont pas convaincus n’auront qu’à lire l’excellent et incontournable ouvrage de Julien Darmon. Langue d’Abraham, l’hébreu a fondé nos alphabets et nos cultures. Langue de Jésus et de Moïse, les secrets des trois religions abrahamiques se cachent parmi les trois, des vingt-deux lettres qui forment la racine de chaque mot hébreu. Je ne sais pas si – comme le disait Blaise Pascal – la face du monde aurait été changée si le nez de Cléopâtre eut été plus court, mais elle l’aurait certainement été si un mot de la Torah eut été mal prononcé.

Cependant, je dois avouer ne pas être une lectrice objective. J’ai été initiée à l’hébreu depuis deux ans dans le cadre de mes études. Et si vous êtes comme moi, ce livre est également pour vous. Il vous fera redécouvrir les merveilles de la langue hébraïque, vous remémorant la première fois où vous avez pu traduire un verset de la Torah sans avoir eu recours à un dictionnaire ou un livre de grammaire.

Éliane BEDU – présidente de Mare Nostrum.
Undergraduate reading “Theology, Religion and Philosophy of Religion” at the University of Cambridge
e.bedu@marenostrum.pm

Darmon, Julien, « La langue divine : 22 bonnes raisons de s’initier à l’hébreu », Albin Michel, « Spiritualités », 14/04/2021, 1 vol. (250 p.), 19,90€

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