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À la fois livre d’histoire, de sociologie et de linguistique, “La Méditerranée, mer de nos langues”, de Louis-Jean Calvet, est ressorti en livre de poche en février 2020. L’occasion de (re)lire un ouvrage aussi captivant que capital pour appréhender notre environnement géographique, historique et politique le plus proche.
Dans son carnet de lecture publié dans “Le Monde” (29 février 2020), l’écrivain Mathias Énard n’a pas eu peur des superlatifs en qualifiant ce livre de “plus beau livre du monde” . Comment ne pas y souscrire ? Il m’a suffi d’apercevoir le titre pour le glisser dans mon panier. Jusqu’à l’image de couverture qui enchante l’imagination : il s’agit d’un détail de l’Atlas catalan datant du XIVe siècle. Son auteur, Abraham Cresque, est un cartographe juif, né à Palma de Majorque. Cette carte, offerte par le roi d’Aragon au roi de France, nous inscrit d’emblée dans les échanges méditerranéens.
Louis-Jean Calvet décrit les contours d’un lieu d’une “confrontation et [d’]un partage permanents ». Cette mer intérieure, véritable niche écolinguistique, définit une “culture tendancielle” dont la mise en perspective retrace une communauté sociale et l’histoire de langues. L’auteur entend étudier leur évolution comme s’étudie celle du vivant.
À travers l’histoire des mots, c’est l’histoire des peuples qui se dessine. Interrogeons ce nom, ce beau nom de Méditerranée. Elle est simplement nommée “la Mer” dans l’Ancien Testament. Les Phéniciens puis les Grecs la nomment “Notre Mer” , qui sonne comme un acte de propriété. Les Romains traduiront par “Mare Nostrum”. C’est à partir du VIe siècle, toujours sur le calque du grec que le terme de Méditerranée, littéralement la mer “au milieu des terres”, s’impose. Pour les Turcs, qui désignaient par des couleurs les points cardinaux, elle est la “Mer Blanche”, celle du Sud (par opposition à la Mer Noire, au Nord). Avant la domination ottomane, les Arabes la désignent comme “la mer des Romains”, avant d’opérer une synthèse entre le latin et le turc et de la renommer “la Mer blanche du milieu”. Quel que soit son nom, elle est le lieu des représentations idéologiques des différents empires qui la dominent. Ce bref aperçu linguistique nous montre déjà la richesse des échanges, des emprunts, des contacts et des conflits que la Méditerranée a baignés de ses eaux.
De Mare Nostrum à “nostrae linguae”, ce livre aborde sommairement, mais avec justesse, l’histoire des premiers alphabets, du phénicien aux langues latines, en passant par l’hébreu et l’arabe. En s’attachant à quelques exemples lexicaux choisis, parmi ce riche creuset, le linguiste parcourt les dédales d’une prétendue lingua franca, des croisades à Rousseau, ou poursuit les traces des fossiles étymologiques que constituent de simples mots comme “huile” ou “truchement”. Ainsi, en grec ancien et moderne, en latin, en italien, en français, en espagnol (en passant par la traduction de l’arabe), en arabe donc, le syntagme “huile d’olive” est une parfaite tautologie !
Ce qui rend ce livre essentiel, c’est la troisième partie, nos langues aujourd’hui. En résumant l’histoire des langues de Notre Mer, ce continent liquide qui nous relie les uns et les autres, ce livre retrace des héritages communs et nos riches diversités. Les politiques linguistiques, des empires jusqu’à nos jours, ont joué le rôle de perturbateurs écolinguistiques, tout comme les flux de traductions. Ces derniers sont très inégaux et réduisent nécessairement la compréhension du monde lorsque le nombre de traductions se réduit.
La pédagogie de Louis-Jean Calvet est une fondation solide sur laquelle bâtir une connaissance de la Méditerranée et de nos cultures. Ce livre éclaire le passé et l’avenir. Il nous donne des perspectives sur nos problématiques actuelles et surtout il nous propose des solutions.

Marc DECOUDUN
contact@marenostrum.pm

Calvet, Louis-Jean, »La Méditerranée : mer de nos langues », CNRS Editions, Biblis, 20/02/2020, Disponible, 1 vol. (382 p.) 10€

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