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Le premier roman de Fatima Daas, Violette Leduc du XXIe siècle, est l’expression d’un conflit. Un conflit culturel entre la lecture de Duras et d’Ernaux, qu’elle cite, et la culture algérienne. Un conflit entre la Parisienne et la Clichoise, entre l’homosexuelle et la musulmane. “La Petite dernière” est une opération à cœur ouvert où le personnage est exposé, sans filtre, et sans détail.

Elle s’appelle Fatima Daas. Elle est pécheresse, et elle porte le prénom de la fille du prophète. Le personnage de ce roman est un oxymore. Elle incarne deux identités qui s’affrontent. Elle est musulmane, croyante et pratiquante, et elle est lesbienne. Ces deux aspects de sa personnalité sont irréconciliables, et d’ailleurs elle ne cherche pas à le faire. Fatima Daas refuse de céder à la facilité, alors qu’elle le pourrait. Le Coran ne formule aucun interdit envers l’homosexualité. Fatima pourrait faire la paix avec elle-même, mais elle ne veut pas réformer la loi islamique dont elle s’abandonne à la supériorité. Elle ne veut pas non plus accepter son attirance pour les femmes qu’elle considère comme un péché. Sa conscience et son cœur sont en lutte perpétuelle.
Comme elle l’écrit, Fatima est à côté de la plaque. Elle est partout chez elle et nulle part. Quand elle est à Paris, elle est rappelée à la banlieue ; et quand elle est à Clichy, la capitale lui manque. Dans le milieu LGBTQ+ elle est trop musulmane, dans sa famille, elle ne l’est pas assez. Fatima ne semble chez elle que dans les transports, qu’elle prend trois heures par jour. Là, elle se fond dans la masse, n’est plus personne, n’est plus jugée.
“La Petite dernière” est aussi une confession. On voit Fatima se juger, se malmener, se condamner. Parce qu’elle porte le nom de la fille du prophète, elle se sent responsable. Elle croit devoir être la musulmane parfaite, la fille idéale, mais elle vit dans le péché, et pour cela elle se déteste. Elle rejette son homosexualité, même si elle l’assume. Quand elle fait un croche-patte à un jeune garçon parce qu’il est efféminé et homosexuel, elle se heurte à son propre reflet. Elle ne cherche pas à punir cet homme en particulier, elle se punit elle-même, se dégoûte pour ce qu’elle est. Cela ne l’empêche pas de mener une vie amoureuse avec plusieurs partenaires. La contradiction entre sa religion et son amour des femmes est frappante, et presque dérangeante. Elle parle des homosexuels à la troisième personne. Ce sont “eux”, les “gays”. Elle est dedans tout en étant dehors. Elle est difficile à comprendre, mais elle en joue. Elle est homosexuelle et homophobe, musulmane et pécheresse.
Le trouble de Fatima Daas présente une analogie avec le conflit intérieur d’Augustin d’Hippone précédant sa conversion. Tous deux sont déchirés entre leur amour de la chair, des plaisirs du corps, et leur désir de devenir des sujets loyaux et exemplaires de Dieu. Saint Augustin repousse constamment sa conversion car il ne se sait pas digne. Il est aliéné par son corps. Il écrit : “Mon désir n’était pas de d’être plus certain de vous, mais d’être plus stable en vous” (XVIII. 1-18 des “Confessions”). Bien que Fatima soit déjà convertie, il existe des similitudes entre les deux personnages. Elle aussi déteste son amour du corps, elle aussi ne se sait pas digne. Comme Augustin a essayé de s’imposer un mode de vie ascétique, elle s’abandonne à la prière. Le conflit est ce qui les définit, la douleur ce qui les anime.

Éliane BEDU
contact@marenostrum.pm

Daas, Fatima, “La petite dernière”, Noir sur blanc, “Notabilia, n° 57”, 20/08/2020, Disponible, 1 vol. (186 p.), 16,00€.

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