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Dans « La théorie des aubergines », on croise un renardeau espiègle, un noyer baptisé « Frère sans gêne », un chef surnommé « le Poulpe », un sosie de Pascal le grand frère, une Mme Pâquerete (avec un seul t) conseillère pôle emploi, un Johnny Roquefort, etc.… On croise surtout Dija rédactrice dans une agence de publicité dans la paisible ville de Plombières, département des Vosges. Plus exactement ex-rédactrice dans une agence de publicité, puisque cette dernière vient de l’éconduire sans ménagement et de la condamner au statut de chômeuse avant que de lui proposer d’en sortir en rejoignant une entreprise d’insertion par la cuisine.

De son écriture ciselée et percutante, Leïla Bahsaïn, nous raconte avec humour, tendresse et une grande acuité sociale le destin de ces femmes et hommes, tous un peu cabossés par la vie et qui vont se retrouver au sein d’une cuisine, où se joue beaucoup plus qu’il n’y paraît, beaucoup plus que les quelques repas que l’on y prépare.

Car ce livre est d’abord l’histoire d’un agglomérat d’êtres où chaque personnage a son propre passé, son phrasé, sa faconde. Des timides, exubérants, qui trimballent des drames, d’autres des bracelets électroniques, qui s’épient, se jugent, s’engueulent, se réconcilient, s’amourachent en découpant viandes et légumes, ou en cultivant patiemment un petit potager sans prétention. Peu à peu, la myriade d’individualités devient un groupe où chacun tente de panser ses plaies et de retrouver au travers du lien social qui s’y reforme, un semblant de dignité et un sens à ses jours. Relatés sur les réseaux sociaux, les exploits quotidiens des « Gens dans la Cuisine » vont trouver leur public et s’éloigner progressivement des ambitions faussement généreuses des décideurs qui n’ont enfanté ce dispositif que pour maquiller en philanthropie leur insatiable soif de pouvoir et de profit.

Ce livre est aussi un repas qui durerait 250 pages, un repas qui devient festin au fil des chapitres par le partage qu’il induit, et le bien qu’il fait à ceux qui le préparent. Tajines, poulet basquaise, cancoillotte, thés de toutes sortes, sucreries rehaussées de cannelle ou d’agrumes, mijotent en permanence à l’arrière-plan de la comédie humaine qui se joue sous nos yeux. On se prend à en humer le fumet, ou à s’en ouvrir l’appétit au détour d’une lecture d’avant-repas. Les plats réussis ou ratés ont beaucoup moins d’importance que les émotions qu’ils suscitent, les dépassements de soi qu’ils permettent, les peurs de l’autre qu’ils battent en brèche à grands coups de couteaux de service ou de leçons de tolérance.

Dija nous guide dans cette cuisine des sentiments où elle s’engage corps et âme et avec générosité, oscillant en permanence entre la femme qu’elle a été et celle qu’elle s’applique à devenir, entre la petite fille venue de son Maghreb natal et la femme ancrée dans cette France dont elle a fait son pays à force de travail et de volonté. Avec un talent indéniable, Leïla Bahsaïn mène son petit monde, comme le ferait un grand chef avec sa brigade de cuisine, et le lecteur rassasié en redemande en attribuant trois étoiles bien méritées à ce drôle de restaurant-là.

Alain LLENSE
contact@marenostrum.pm

Bahsaïn, Leila, « La théorie des aubergines », Albin Michel, « Romans français », 03/03/2021, 1 vol. (250 p.), 16,90€

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