Des sept opus, « Mémoires d’un avare » est à mon sens le plus drôle. Ces mémoires fictives de François Cassette, le plus grand critique gastronomique français, sont d’une drôlerie et d’un cynisme qui rappelle les meilleurs mots de Voltaire, Talleyrand ou Sacha Guitry ! C’est bien la seule bonne chose que François ait sortie de sa cassette : une confession honnête (donc aveuglée) de son parcours d’avare cupide qui, à dix-neuf ans, décide, sans effort mais par tous les moyens, de devenir riche.
Louis-Henri de La Rochefoucauld ne néglige rien, pas même sa dédicace à Félix Grandet, merci Balzac. Pourfendeur des avaricieux, il n’oublie pas le conseil que Molière empruntait déjà à Horace, Castigat ridendo mores. Et s’il ne parvient pas à nous corriger de notre avarice, au moins nous aura-t-il fait rire. Car le vice ou le péché semble toujours, chez les autres, plus prononcé et plus ridicule. François Cassette avoue être touché par le personnage d’Harpagon : « Ça me chagrinait qu’on en fasse un personnage burlesque, qu’on le tourne en dérision. Il fallait être un nanti, pour lui jeter la première pierre » (p. 20).
Or, des sept péchés capitaux, seuls l’avarice et l’envie se dissimulent. Les gourmands se désignent volontiers, les coléreux éclatent sans retenue, les paresseux reconnaissent à demi-mot ce plaisir d’autant plus voluptueux que coupable. Un avare ne l’est pas puisque ses raisons d’économiser seraient motivées par le bon sens. « Les Mémoires d’un avare », prenant cette disposition à l’envers, marquent leur originalité. Il est avare et fier de l’être. « Contre la mondialisation heureuse à laquelle personne ne croit plus, il y a une radinerie vertueuse. Ne me déplaçant qu’en France, je ne prenais quasiment pas l’avion. Je gardais les mêmes mocassins des années. Je ne jetais rien. Je recyclais au maximum. Je polluais peu la planète. Mon avarice était écologique. J’étais un Harpagon bio ! » ose-t-il même affirmer page 129.
François Cassette renverse un autre adage, « À père avare, fils prodigue ». D’un défaut à l’autre, comme dans tous les textes autobiographiques, le mémorialiste commence par son enfance. Auprès de ce père chrétien, d’une générosité sans borne et qui a dilapidé la fortune de son épouse, se trouverait l’origine de son avarice. « Il aimait donner. De ce cancer, il n’a jamais guéri. » (p. 13.) Comme modèle, François préfère son oncle, qui avait lui aussi épousé une femme riche. Craignant qu’on lui reproche un mariage d’intérêt, « vêtu de pulls rapiécés aux coudes et de pantalons de velours râpés, ne partant jamais en vacances et dînant de soupes industrielles, il ne dépensait pas un centime. » (p. 19).
Il est possible que je me trompe mais l’avarice est le seul vice auquel on ne trouve aucun aspect positif. En cela, Mémoires d’un avare serait le seul livre de la collection à ne présenter aucun revers. L’économie n’est pas de l’avarice, a fortiori quand on est dans la nécessité. Le personnage de François Cassette nous fait rire ; son humour nous le rend presque sympathique, voire attachant. Il est pourtant un monstre d’égoïsme, de cynisme et de méchanceté. Après la mort de son épouse, richissime héritière, il admet sans détour son soulagement : « J’avais trente-trois ans et j’étais veuf : je ressuscitais » (p. 71). Il faut lire, avec une cruelle délectation, la manière dont il arrive à faire pitié à un de ses locataires au chômage en retard dans ses loyers. Pour un peu, on le plaindrait ! Ou encore le mauvais tour qu’il joue à un de ses neveux pour son mariage à qui il avait promis de payer la noce, à la seule condition qu’on ne prononce aucun discours…
C’est bien là le drame du lecteur et tout le talent de Louis-Henri de La Rochefoucauld. Dans la pièce de Molière, on rit d’Harpagon autant pour son avarice que de la manière dont il est joué par les autres personnages. Ces mémoires sont, en quelque sorte, amorales : la morale disparaît au profit du rire cruel et froid. Malgré l’Avant-propos (fictif), François Cassette réussirait presque à emporter l’assentiment du lecteur. Pas tout à fait quand même. Il en ressort le très diffus malaise d’avoir un plaisir coupable. Catharsis expiatoire ? Ce n’est pas impossible. Le contraire de l’avarice se révèle dans la générosité, dans le don. Sommes-nous toujours aussi généreux que nous pourrions nous le montrer ? Évidemment, je n’ai pas la fortune de François Cassette. Je pourrais peut-être commencer par donner ou prêter mes livres, les faire circuler…
Tout compte fait, non.
Marc DECOUDUN
contact@marenostrum.pm
La Rochefoucauld, Louis-Henri de, « Les sept péchés capitaux L’avarice : mémoires d’un avare », Le Cerf, « Les sept péchés capitaux », 04/02/2021, 1 vol. (138 p.), 12,00€
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