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Dominique Reynié, professeur à Science Po et très médiatique directeur de la « Fondation pour l’innovation politique », a eu l’heureuse idée de réunir les meilleurs érudits du christianisme pour, ensemble, à la lumière des enseignements tirés des siècles passés, réfléchir et essayer de comprendre où vont les lendemains du monde chrétien confronté, à l’aube du XXIe siècle, à une double épreuve :
– La sécularisation et le désenchantement du monde occidental liés à la marche inéluctable du progrès technologique au service des droits croissants de l’individu-consommateur qui tourne de moins en moins les yeux vers les étoiles.
– Sa confrontation, plus ou moins imposée, avec des idéologies nouvelles, avec d’autres religions théologico-politiques plus sûres d’elles…
Ces érudits pensent que l’héritage chrétien de l’Europe dessine en partie son avenir. Belle entreprise d’intelligence. Selon Dominique Reynié, la relation au divin demeure une dimension incontournable de l’Homme. Certes, le déclin des cultures magiques éloigne l’idée d’un Dieu tout-puissant. Les philosophes du soupçon annoncent : ‘’Dieu est mort’’, « La religion, opium du peuple »… Philosophes, économistes, maints penseurs prédisent que le Ciel ne fera plus recette. D’autres répondent : ‘’Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas’’. Alors, déclin ou non-déclin des religions ? Les chiffres parlent : les sociétés industrielles avancées (par exemple, la France), au confort attractif, âgées et à faible démographie, se sont laïcisées, sécularisées pendant qu’ailleurs (Afrique, Inde, Asie du Sud-Est…) à la démographie explosive, une part croissante de la population mondiale reste attachée à sa religion. Fractures assurées par cette dichotomie ?
Les migrations, rendues inévitables par les différences de niveau de vie et le réchauffement climatique, amènent en terres longtemps chrétiennes un peuplement à majorité musulmane, qui ne reconnaît pas la séparation du religieux et du politique, et que la sécularisation gène dans sa référence au Coran, livre dicté par Dieu. La religion chrétienne est largement la plus persécutée au monde, et ce sont les chrétiens africains qui paient le plus lourd tribut des persécutions : en 2020, 91% des chrétiens assassinés dans le monde, soit 4761 personnes sont Africains. En moins grand nombre, les musulmans sont également persécutés, notamment en Chine, en Inde, en Birmanie…
Malgré les injonctions de Jésus : ‘’Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu’’ ou encore ‘’Mon Royaume n’est pas de ce monde’’, l’Europe a longtemps eu du mal à séparer le politique du religieux. C’est chose faite aujourd’hui, mais l’ouvrage sera-t-il à recommencer ? Des épreuves peut-être bien plus redoutables sembleraient menacer le monde chrétien occidental et le mener à sa sortie. ‘’La machine médiatique’’ joue sur les nerfs et les gisements émotionnels enfouis en chacun, les réseaux sociaux en rajoutent et nous détournent de la réflexion, de l’intériorité, du spirituel. Les démagogies électorales et publicitaires flattent à tout-va l’individu qui, en cas de réussite, croit en son seul mérite. S’il échoue, il rejette cette société américanisée de la compétition.
La promesse de ‘’l’Homme augmenté’’ par l’anthropotechnique arrivera-t-elle à faire oublier les promesses de l’au-delà ou celles des idéologies fasciste et communiste pour 1000 ans de bonheur ? La perte des illusions aura-t-elle raison du religieux emporté par le désenchantement général ? La démocratie sera-t-elle atteinte à son tour ?
Philippe Portier, docteur en philosophie, et Jean Paul Willaime, sociologue des religions, pensent que l’homme européen, s’il ne veut pas perdre toute identité, doit reconnaître qu’il est héritier du génie chrétien lequel, à travers les siècles, a produit une immense civilisation à vocation universelle. Cette dernière a permis l’éclosion et l’épanouissement de la liberté de conscience et du doute, qui la mèneront, peut-être, à sa perte. Civilisation de la possible permissivité dont les rejetons progressistes au service des droits sacrés de l’individu ne font pas écho dans bien des pays à la morale liée à la religion. Les identités sont devenues multiples, floues, mouvantes, éclatées… La modernité, hier triomphante, est devenue ‘’liquide’’. Qui suis-je vraiment, se demandent certains qui doutent de la bonne réponse ? Ainsi, la mollesse identitaire des uns entraîne la radicalité des autres, notamment des jeunes. À côté des salafistes musulmans, prospèrent en France les Évangéliques d’expression africaine : 10% des Protestants en 1960, 50%, aujourd’hui (phénomène mondial). Ils s’affirment hauts et fort, ne rasent pas les murs, notamment au Brésil et en Afrique. Les Protestants de France se veulent ‘’Les Vigies de la République’’ en matière bioéthique, écologique, liberté de culte dans leur grande tradition de liberté individuelle. Force de demain ?
Jean-François Colosimo, le célèbre théologien orthodoxe, directeur général des Éditions du Cerf, pose la vraie question : ‘’Hier, berceau de l’Évangile, le Proche-Orient va-t-il devenir un musée de l’Église ? » Le déni de l’Occident face à la tragédie des persécutions dont sont victimes les chrétiens d’Orient est cruel. Déjà, en 1915, le génocide des Arméniens par les ottomans turcs frappe le peuple chrétien qui, le premier, a recueilli l’enseignement évangélique. La France, fille aînée de l’Église, par sa pusillanimité, a perdu son aura en terre syrienne ou libanaise, hier protectorats français. En Turquie, les chrétiens qui représentaient 35% de la population en 1900 n’en comptent que 0,2% aujourd’hui. Comme eux, les chrétiens Irakiens et Syriens ont fui, notamment auprès des Kurdes, soutenus par l’Occident. En Égypte, les chrétiens coptes souffrent. Chaque année 15 000 d’entre eux finissent par se convertir à l’Islam, beaucoup fuient aux États-Unis ou en Europe. Du fait du déni des Occidentaux, l’auteur conclut au ‘’suicide moral de l’esprit européen’’. Un sursaut de l’Occident est-il possible ?
Jean-François Colosimo consacre un brillant chapitre à la crise Orthodoxe. Dernière les trois grandes familles chrétiennes (300 millions de fidèles), la religion orthodoxe, née sur les rives orientales de la Méditerranée matrices de la foi chrétienne, entend perpétuer la tradition primitive. La querelle avec Rome sur le ‘’Filioque’’ conduit au schisme de 1054 qui sépare les quatre Églises d’Orient (Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem) de l’Église romaine. Aux temps modernes, les guerres qui ont secoué les Balkans, ont largement impacté les sensibilités des chrétiens orthodoxes. Ce ne furent pas seulement des guerres provoquées par les Ottomans. Ainsi, en 1941, 300 000 Serbes orthodoxes furent assassinés pour avoir refusé de se convertir au catholicisme. Aujourd’hui, souligne l’auteur dans un élan d’espérance, la résurrection théologique – portée notamment par les diasporas orthodoxes parisienne et new-yorkaise – refonde une unité réorientée sur la foi en un Dieu ‘’Qui était, Qui est, Qui vient’’.
Jean-Dominique Durand, président de « l’Amitié judéo-chrétienne de France », souligne que l’espace européen est né du christianisme dont la théologie repose d’abord sur la relation individuelle avec Dieu. Sa théologie de la paix et de l’amour a été transmise par ses universités médiévales et contemporaines. La tâche reste entière.
Henri Madelin, théologien jésuite, hélas décédé en 2020 de la Covid, défend la liberté de conscience des croyants face aux injonctions des États tentés d’abuser de leur pouvoir, en favorisant par exemple une religion au détriment des autres. L’Église catholique, pour sa part, représente précieusement une société internationale réelle qui peut peser face aux persécutions dont peuvent être victimes ses membres. Selon le père Madelin, l’Église ne peut se contenter d’être spirituelle et prophétique au risque de naïveté des purs : ‘’elle doit accepter de se compromettre dans la complexité des choses et les faiblesses humaines’’.
Thierry Rambaud, professeur de Droit public à Paris, cofondateur du « Master d’Islamologie et droit musulman » de l’université de Strasbourg, souligne la difficulté de gouverner le religieux dans un État laïc. La réponse est : ‘’dans une exigence permanente de dialogue autour de ce qui unit la communauté nationale’’. La réalité enseigne que le fait religieux s’impose aux autorités, et qu’il est urgent de proposer un projet républicain de conciliation et de fierté nationale.
Aurélien Acquier, Jean-Pascal Gond et Jacques Igalens se penchent sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) qui a été mise en pratique, d’abord par les Protestants, et notamment par les chefs d’entreprise américains (Max Weber, le Gospel of Wealth). Responsabilité sociale devant Dieu. Y a répondu la doctrine sociale de l’Église (encyclique Rerum novarum). Aujourd’hui, Bruxelles évite le caractère originel chrétien de la RSE, mais la morale inhérente à la RSE s’en inspire assurément. Certains mouvements extrémistes écologiques franchissent le pas et semblent diviniser Gaïa, la « Terre-mère ». Retour aux croyances animistes ? À suivre.
Est-il nécessaire de se poser la question du ‘’pourquoi ?’’ de ce livre d’érudition sur le devenir du christianisme au XXIe siècle ? Inutile de tourner en rond, la réponse est évidente : la religion du ‘’Aimez vos ennemis, Tendez la joue droite à qui soufflette votre joue gauche’’ ne fait plus ‘’le poids’’ dans un monde de compétition globalisée, d’affrontement des civilisations, de prétentions transhumanistes.

Chacun des neuf érudits, avec sagesse, mesure, et optimisme raisonnable, tente de montrer que l’histoire du christianisme est longue. Elle ne s’arrête pas à notre siècle. Des hommes et des femmes de bonne volonté et de foi sont près à assurer une continuité pour un idéal transcendant qui les dépasse, et qui inonde de sa source la sécheresse du matérialisme apparemment triomphant.

Léonce CAMBRES
articles@marenostrum.pm

Sous la direction de Dominique Reynié, « Le XXIe siècle du christianisme », Le Cerf, 06/05/2021, 1 vol. (376 p.), 20€

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