Éric-Emmanuel Schmitt, Le défi de Jérusalem : un voyage en Terre sainte : récit, Albin Michel, 05/04/2023, 1 vol. (217 p.), 19,90€.
Pourquoi partir ? Ces deux mots en liminaire de l’ouvrage sont bien plus qu’un questionnement sur la raison d’être de la démarche d’Éric-Emmanuel Schmitt, ils posent avec acuité les difficultés d’une décision à prendre. C’est un des mérites de l’auteur de nous en faire part.
Entre l’écriture de la Traversée des temps dont il a publié le troisième volet l’an passé et ses obligations de lecture pour le compte de l’Académie Goncourt, ce dernier avait un timing qui ne lui laissait guère de liberté.
« Chaque jour qui passe, de huit heures du matin à huit heures du soir, immuablement », explique-t-il, comme une antienne pour expliciter la constance de sa tâche. Alors, en dépit de l’alléchante proposition d’un séjour en Terre sainte par un ami directeur des publications Vaticanes, celui-ci s’interrogeait.
Où trouver le temps d’un si long voyage ? Et à quoi bon parcourir la grotte de Bethléem, les collines de Nazareth et les rives du lac Tibériade ? « Dans la mesure où ma foi ne sera pas modifiée quand elle aura gagné des pieds », souligne-t-il.
Ces réticences pourtant seront vaincues. Cette Terre promise, ce Canaan où l’auteur s’était arrêté dans son roman Le soleil sombre l’auteur se décidera finalement à le fouler. Coïncidence ? S’interrogera-t-il. Plutôt qu’à en chercher la cause, il préfère en considérer les effets. « Écrire sur la Terre promise et m’y rendre ensuite, souligne que mon œuvre et ma vie sont alignées », en déduit-il.
L'appel du voyage : entre doute et détermination
Une fois arrivé sur place, pourtant, ce sera d’abord le désenchantement. Inséré dans un groupe hétéroclite de Français, lui a-t-on dit, dont il ne comprend pas la langue, l’auteur est décontenancé. « Que peut-il venir de bon de Nazareth ? écrit-il plagiant la remarque de Nathanaël jadis, lorsqu’on lui décrivit le Messie Galiléen. Un a priori qu’il rectifiera vite, toutefois quand à l’issue d’un office des vêpres où il n’avait aucune envie d’assister, le pèlerin en ressortira attendri, tant par la gentillesse du groupe de Réunionnais parlant tout simplement le créole que par celle du bon père Henry.
L’émotion exprimée après l’eucharistie l’exprimera éloquemment.
Quel poids j’accorde parfois à mes embarras, ratages ou préjugés. Au lieu de me vider, je demeurais plein de moi, de mon ego. L’hostie poursuit son chemin, pas seulement dans mon œsophage où elle descend, mais dans mon âme où à l’inverse je sens qu’elle monte, me décentre, m’invite à l’abnégation, à de hautes exigences. Pourquoi consacrer mon énergie à me préserver plutôt qu’à m’ouvrir, à m’oublier, à me dévouer ?
Son orgueil ainsi déversé, heureux de s’intégrer au groupe de fidèles créoles, Éric-Emmanuel Schmidt va dès lors pleinement profiter du pèlerinage. Ébloui, quand ses yeux rencontrent le paysage intact du lac de Tibériade ; méditant à loisir sur les paraboles de Jésus à Capharnaüm ; ou remâchant le texte de Mathieu sur les Béatitudes « qu’il lui semble sourdre des gazons et des buissons, tant il exalte le bonheur. »
Mais le premier lien ténu qui donnera véritablement chair à son voyage, lui viendra paradoxalement de Nazareth. D’un humble couvent où l’occasion lui sera donnée de se remettre dans les pas de Charles de Foucauld et de cette « Nuit mystique » dans le Hoggar qui avait précédemment changé le cours de sa vie. C’est ce qu’il relate dans un vibrant hommage :
Il était donc là. Il m’attendait. Il m’enveloppait. Je m’assis sur un banc, le cœur battant, transi par une reconnaissance qui embrumait mes pupilles. Je lui dois tant. Sans lui, je ne me serais pas aventuré vers Dieu, je n’aurai pas trouvé la lumière au milieu des ténèbres. Je ne croirai pas.
Désormais bien inséré dans le groupe de Réunionnais, Éric-Emmanuel Schmidt va en suivre le périple sans pour autant céder à l’excès. « Pas de fétichisme ! » souligne-t-il :
Ce qui importe, ce n’est pas que l’emplacement soit ou pas le bon, l’essentiel c’est la méditation qu’il propose. Autrement dit, dans un pèlerinage la vérité à rechercher n’est pas celle de la terre, mais celle du ciel. Les pieds ne doivent pas coller au sol, ils s’envolent sur les ailes de la pensée .
De l'épreuve à l'émerveillement
Au gré des haltes et des lieux habités par les récits évangéliques, l’auteur approfondit ainsi sa réflexion. À l’image de ce qu’il retient d’un propos de Pascal au sujet des miracles. « Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n’y aurait point de mérite à le croire ; et s’il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. » Puis il y aura Jérusalem, « la ville monumentale » comme il la définit qui l’impressionne et le trouble à la fois avec ses remparts en pierre ocre, plus hostiles que protecteurs. Il s’interroge :
La disproportion entre ce qu’elle m’évoquait et ce qu’elle dégage maintenant me trouble. En quoi l’amour proclamé par Jésus correspond-il à cette citadelle guerrière, péremptoire, inhospitalière ?
La sensation éprouvée dans la file qui mène au Golgotha le déconcertera tout autant. « L’envie de déserter cette mascarade, de récupérer sa rationalité », le taraude. Pourtant il va s’y conformer. Jusqu’à ce que parvenu au pied de l’autel, du monticule où fut plantée la Croix, l’inattendu se produise. Le miraculeux faudrait-il dire, tant le saisissement est fort, voire incontrôlable.
« La chaleur d’un être à quelques centimètres, une personne invisible dont je perçois la vie organique », est-il explicité. À cet instant, les mots semblent insuffisants pour décrire l’indescriptible, mais Éric-Emmanuel Schmitt les exprime tels qu’il les ressent.
« Sitôt sur mes jambes, je vacille, tremble de tous mes membres, mon cœur s’affole, ma respiration se bloque. » Une révélation dévorante qui le moment d’extase passé ne peut que laisser libre cours qu’à l’action de grâces.
Pourquoi, mon Dieu ? Pourquoi tant d’amour ? Quel poids a cet amour ! Je suis incapable de le supporter. Tant d’amour… Pourquoi ? Pourquoi tant d’amour ? Et la réponse fond sur mon cœur en le faisant exploser : Par amour », balbutiera-t-il comme transfiguré.
Rencontre divine à Jérusalem : révélation et introspection
Dès lors apaisé, sans cesser pour autant de s’interroger sur les désaccords de la Cité trois fois Sainte, l’auteur arpentera en fidèle les stations de la Via Dolorosa comme il partagera avec ferveur les offices dominicains de l’École Biblique dans un mental rasséréné. Il écrit :
Depuis que j’ai perçu la présence de Dieu doté de chair et de sang au Saint Sépulcre, son odeur, sa chaleur, son regard, j’ai déposé les armes, j’ai remisé l’ironie, le sarcasme, la critique. Je m’abandonne avec humilité à ce qui me dépasse.
Des mots d’une confession aussi prégnante que courageuse auxquels le pape François, ému par l’authenticité du récit, fera écho dans la postface de l’ouvrage.
« Telle est la vocation du chrétien : témoigner plutôt que convertir. Le chrétien ne convertit personne. Il témoigne du fait que Dieu lui a tendu la main, l’a sauvé de l’abîme de ses péchés et lui a témoigné une infinie miséricorde », commente l’évêque de Rome.
Comment mieux résumer la portée d’un pèlerinage dont Éric-Emmanuel Schmitt narre les diverses péripéties avec autant de poésie que d’authenticité…
Chroniqueur : Michel Bolassell
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