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Bien des auteurs sélectionnés par le regretté Michel Le Bris au festival « d’Étonnants Voyageurs » s’étaient interrogés sur cet engouement pour l’ailleurs.
De Sepulveda (Dernières nouvelles du sud) à Sylvain Tesson – « Les chemins noirs » – en passant par Cédric Gras – « Le cœur et les confins » et Francisco Coloane – « Le passant du bout du monde » -, chacun d’entre eux avait exalté sa notion du voyage. Sans atteindre toutefois l’authenticité d’un Bruce Chatwin dont le seul traité « d’Anatomie de l’errance » réunit, à notre avis, les vertus essentielles du nomadisme.
S’il s’apparente à la quête générique du voyage, l’ouvrage de Christiane Rancé est cependant foncièrement différent. Il procède « de quelque chose d’indéfinissable qui est là, à portée de mémoire et dont le souvenir s’enfuit dès qu’on tente de le saisir », comme le souligne l’auteure dans les premières pages.
C’est donc là, à mi-chemin entre l’imagination d’un vrai lieu à retrouver, comme y incite Yves Bonnefoy et ce quelque chose d’absent qui tourmentait Camille Claudel que s’inscrit « Le Grand large » de Christiane Rancé. Une sorte de traversée en solitaire non pour se distraire mais pour se définir et peut-être se découvrir véritablement.
Ce premier saut hors de soi, eut pour cadre un périple en terre atlantique à bord d’un cargo de marchandises dont la plénitude d’odeurs et d’images se cristallisa en une mélancolie aux contours de Cassiopée. L’arrivée en terre porteña où Adolfo Bioy Casares lui expliqua que « Les vrais pèlerins sont ceux qui franchissent non pas l’espace mais le temps », fut matière à pénétrer le sens du mouvement et de la destinée.
Le cœur empli d’aventure autant que de poésie, c’est dans un même esprit de vertige inhérent aux mots de Rimbaud : « Elle est retrouvée. Quoi ? l’Éternité. C’est la mer allée avec le soleil » que l’héroïne entreprit, toujours à bord d’un cargo, sa pérégrination en Méditerranée. Toute une kyrielle de sensations et de rencontres, jusqu’à ce que l’horizon s’entrouvre avec l’œuvre de Nikos Kazantzakis « Le lys et le serpent » d’abord, mais surtout « Ascèse » qui lui fait se poser la vraie question, reconnaît-elle. Celle du Lumineux et de l’Obscur et l’interrogation majeure qui en découle : « Quel chemin choisir entre ces deux voies éternelles ? »
Pour cette éprise d’absolu, biographe de figures aussi fortes que Simone Weil ou Thérèse d’Avila et d’un remarquable « Dictionnaire amoureux des Saints », le propos prendra une certaine résonance. Au point de conjuguer ces divers périples en autant de considérations métaphysiques.
De Grèce au Sri Lanka, via les terres occitanes et les rivages de Nantucket, chacune de ses escales sera matière à investigation pour trouver la clé du festin ancien. « C’est ainsi que j’ai connu cette autre forme du voyage, dans un élan vers toutes les prières, avoue-t-elle, comme une myriade de particules divines qui atténue le sentiment douloureux de l’exil et de la séparation ».
Avec une trame émaillée d’anecdotes et de souvenirs d’enfance, portée de surcroît par une belle écriture « Le Grand large » de Christiane Rancé est un véritable petit bonheur. Où l’on découvre enfin, apaisés, que :

du voyage, rien si ce n’est soi-même ne peut être le but ni le moyen, mais seulement le véhicule pour embrasser le monde et alors, et enfin, y trouver sa place unique et irremplaçable.

Fascinant !

Michel BOLASSELL
contact@marenostrum.pm

Rancé, Christiane, « Le Grand large », Albin Michel, 10/02/2021, 1 vol. (303 p.), 19,90€

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