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Les Hussards viennent de remettre leur Prix annuel à une satire bien sentie des révolutionnaires de salon, moralisateurs et censeurs de notre époque.

Prix des Hussards 2022
Eric Naulleau (Président) à gauche, en compagnie de Patrick Jean, lauréat du Prix des Hussards.

Le narrateur, Romain, est un affranchi. Fils du PDG d’une grande entreprise, enfant de la grande bourgeoisie, il a décidé de quitter son milieu privilégié pour rejoindre un groupuscule révolutionnaire qui lutte contre les injustices du capitalisme occidental, tout en apportant comme caution une grande part de son héritage… Le parti lui a donné une mission importante : retrouver le théoricien Edgar Winger, qui semble s’être volatilisé depuis de nombreuses années et vivrait reclus tel une sorte de J.D. Salinger. D’après les compagnons de Romain, le grand penseur serait le seul à même de redonner du souffle à leur mouvement et d’éveiller les consciences progressistes.
Dans cette petite bande, délicieusement croquée par Patrice Jean, on n’a pas de doute face à l’ignominie des dominants. Leur pureté idéologique va jusqu’à accepter – dans des pages très drôles où ils débattent sur le bien-fondé ou pas de faire appel à la police d’État tant honnie – de se faire tabasser par des voyous qui sous couvert d’aider Romain à retrouver Edgar Winger, le dépouillent dans un guet-apens.

Je me suis dit que cette bastonnade, d'une certaine façon, contrebalançait les avantages que ma naissance bourgeoise m'a octroyés, il faut bien, par un genre de justice immanente, payer le prix de ma chance imméritée.

Mais dans cette recherche de pureté idéologique, on n’est jamais loin d’être victime soi-même de ses amis procureurs. Ainsi, pour une malencontreuse « affaire » de main ayant frôlé involontairement les fesses d’une camarade, voilà Romain exclu du parti qui ne peut tolérer cette atteinte patriarcale aux valeurs féministes… Ironie, c’est à ce moment qu’il va enfin réussir à rencontrer Edgar Winger.
On ne rappellera jamais assez le conseil de John Waters : « Ne rencontrez jamais vos idoles ! » car on ne peut qu’être déçu… En l’espèce, le théoricien intransigeant de toutes les luttes des damnés de la terre, semble adhérer à la pensée de Montesquieu : « C’est une chose extraordinaire que toute la philosophie consiste en trois mots : Je m’en fous ».
Sa désertion cache surtout un plus lourd secret… Le choc est grand pour le militant. Pire, voilà que le grand homme respecté et en qui tout le parti avait mis tant d’espoirs appelle à la notion horriblement bourgeoise de… Nuance ! Mais lui, Romain, ne cédera pas.

La naissance de son fils lui a redonné confiance dans le militantisme. Avant de rencontrer Audrey, il lui arrivait de douter. L'exclusion du parti révolutionnaire et, surtout, sa rencontre avec Winger avaient introduit en lui les poisons du scepticisme. Il lui arrivait même de défendre la notion de frontières. Il en a honte aujourd'hui. Il ne cachera pas à son fils, quand il sera en âge de comprendre, les dérives idéologiques auxquelles on s'expose sitôt qu'on laisse entrer en soi, par faiblesse, les idées du camp adverse. Il ne faut jamais baisser la garde. Ne jamais écouter l'ennemi.

L’histoire de cette quête du penseur providentiel est ainsi l’occasion pour Patrice Jean de brosser le portrait au vitriol du sectarisme de cette génération de « révolutionnaires » qui pensent lutter contre la bourgeoisie en distribuant les brevets du bien penser, du bien agir et du bien vivre… Ignorant pourtant la réflexion de Roland Barthes : « C’est l’un des traits constants de toute mythologie petite-bourgeoise, que cette impuissance à imaginer l’Autre ».

Jean, Patrice, Le parti d’Edgar Winger, Gallimard, 07/04/2022, 1 vol. (242 p.), 20€.

Image de Olivier Amiel

Olivier Amiel

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