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Le Port englouti de Cléopâtre relance la quête de son tombeau

Sous les eaux turquoise de la Méditerranée, au large d’Alexandrie, des archéologues viennent de faire une découverte spectaculaire : les vestiges d’un vaste port antique gisant sous plusieurs mètres d’eau. Et pas n’importe quel port – tout porte à croire qu’il s’agit du port englouti de l’époque de Cléopâtre VII, dernière reine d’Égypte. Cette trouvaille, annoncée aujourd’hui par les autorités égyptiennes, pourrait bien représenter une avancée cruciale dans l’un des plus grands mystères de l’archéologie : l’emplacement du tombeau de Cléopâtre.

Un port antique ressurgit du fond des eaux

C’est au large du temple de Taposiris Magna, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest d’Alexandrie, que l’archéologue Kathleen Martínez et le célèbre explorateur sous-marin Robert Ballard (découvreur de l’épave du Titanic) ont mis au jour un incroyable paysage englouti. À 12 mètres de profondeur seulement, leur équipe a identifié les structures alignées d’un port antique, préservé sous les sédiments depuis plus de deux millénaires. Sur le site, les plongeurs ont remonté des centaines d’amphores grecques et romaines, des ancres massives couvertes de coraux, un sol dallé remarquablement poli ainsi que d’imposantes colonnes de pierre s’élevant encore à plus de six mètres de haut. Autant d’éléments qui témoignent de l’existence d’un port commercial majeur datant du Ier siècle avant J.-C., c’est-à-dire de l’époque de Cléopâtre VII elle-même.

La découverte de ce port submergé a été officialisée par le Ministère égyptien du Tourisme et des Antiquités, qui souligne son importance scientifique exceptionnelle. En effet, aucun texte ancien ne mentionnait l’existence d’un tel port à cet endroit, ce qui rend la trouvaille d’autant plus inattendue. « La découverte suggère que Taposiris Magna était non seulement un important centre religieux, mais aussi un port marchand bien plus vaste qu’on ne l’imaginait jusqu’ici » résume Kathleen Martínez. Autrement dit, cette région côtière aujourd’hui paisible était autrefois un nœud stratégique du commerce méditerranéen sous les Ptolémées.

Une découverte clé dans la quête du tombeau de Cléopâtre

Si ce port englouti suscite un tel engouement, c’est qu’il pourrait bien constituer le chaînon manquant d’une énigme vieille de 2000 ans : celle du tombeau perdu de Cléopâtre. Depuis des décennies, historiens et aventuriers cherchent la dernière demeure de la légendaire reine d’Égypte, disparue en 30 av. J.-C. Or, cette découverte sous-marine apporte de l’eau au moulin d’une théorie audacieuse : et si Cléopâtre ne reposait pas à Alexandrie même, mais dans ce sanctuaire côtier de Taposiris Magna ?

En 2022 déjà, Kathleen Martínez et ses collègues avaient mis au jour, dans le temple de Taposiris Magna, une mystérieuse galerie souterraine de 1 300 mètres de long, s’enfonçant à 12 mètres de profondeur et s’étirant en direction de la mer. À l’intérieur de ce tunnel, taillé dans le roc, les archéologues avaient découvert des poteries et des jarres datant de l’ère ptolémaïque – c’est-à-dire du règne de Cléopâtre. Pour l’archéologue, ce passage souterrain pourrait avoir servi à acheminer secrètement la dépouille de la reine vers le littoral. Elle émet l’hypothèse que Cléopâtre, après son suicide en 30 av. J.-C., aurait été transportée hors d’Alexandrie pour être inhumée à Taposiris Magna, son corps suivant le parcours du tunnel jusqu’au port, puis vers une sépulture encore inconnue.

Les textes antiques, notamment l’historien grec Plutarque, rapportent que Cléopâtre et Marc Antoine furent enterrés ensemble dans le mausolée de la reine à Alexandrie. Cependant, aucune trace n’a jamais été retrouvée dans la ville, et pour cause : en l’an 365 apr. J.-C., un séisme dévastateur suivi d’un tsunami ont englouti sous les flots le quartier royal d’Alexandrie. La quasi-totalité des palais et temples de l’époque s’y trouvent aujourd’hui sous six mètres d’eau, y compris le probable tombeau d’Alexandrie s’il y existait. Partant de ce constat, Kathleen Martínez a imaginé un scénario alternatif : plutôt que de risquer une profanation romaine, la reine aurait projeté de cacher sa dépouille et celle de son amant dans un lieu secret, loin des regards de l’empereur Octavien (Auguste). « Il fallait qu’elle choisisse un lieu où elle se sentirait en sécurité pour sa vie après la mort avec Marc Antoine », explique l’archéologue. En étudiant la carte de l’Égypte, cette dernière Martínez a ciblé tous les temples qu’on pouvait rallier en une journée de voyage depuis Alexandrie. Son intuition l’a menée droit vers Taposiris Magna, ancien centre sacré dédié à Osiris et Isis, idéalement situé sur la côte hors de la ville.

La mise au jour du port englouti en 2025 vient renforcer spectaculairement cette théorie. La présence d’un grand port actif au Ier siècle av. J.-C. prouve que Taposiris Magna n’était pas qu’un sanctuaire isolé, mais aussi un vaste pôle économique et maritime à l’époque de Cléopâtre. « Le port était en activité du temps de Cléopâtre et même avant, au début de la dynastie », souligne Kathleen Martínez, forte du double témoignage du tunnel et du site submergé. Autrement dit, le temple et le port formaient un ensemble cohérent, un lieu suffisamment important pour pouvoir accueillir la dépouille d’une reine. « Cela donne une grande importance au temple, qui présentait toutes les conditions pour être choisi pour que Cléopâtre y soit enterrée avec Marc Antoine » ajoute-t-elle. Désormais, les archéologues entrevoient la fin possible du mystère : le tombeau tant recherché pourrait se cacher quelque part au-delà de ce port englouti, sous la mer ou dans les sédiments côtiers.

Cléopâtre VII, dernière reine d’Égypte et figure de légende

Mais qui était réellement Cléopâtre VII, cette femme dont le simple nom enflamme l’imagination depuis des siècles ? Née en 69 av. J.-C. dans la célèbre dynastie des Ptolémées, elle monta sur le trône à 18 ans et devint la dernière pharaonne de l’Égypte antique. À la fois reine ambitieuse, stratège politique et érudite, Cléopâtre parlait de multiples langues et fut la première de sa lignée à adopter la culture égyptienne autant que la grecque. Son règne, de 51 à 30 av. J.-C., fut marqué par des alliances décisives avec deux puissants Romains : Jules César d’abord, puis Marc Antoine, qu’elle épousa. Ces liaisons lui assurèrent une protection temporaire, mais excitèrent aussi la méfiance de Rome.

Vaincus par Octavien lors de la bataille d’Actium en 31 av. J.-C., Cléopâtre et Marc Antoine choisirent le suicide plutôt que la captivité. La reine se serait donné la mort à 39 ans, selon la légende en faisant venir à son sein un aspic venimeux, clôturant ainsi l’époque pharaonique d’Égypte.

Pendant les deux millénaires qui ont suivi, Cléopâtre est devenue un mythe autant qu’un personnage historique. Les vainqueurs romains, en écrivant l’Histoire, la dépeignirent comme une « séductrice exotique et dangereuse » ayant ensorcelé César et Antoine au détriment de la République. De Shakespeare aux films hollywoodiens, son image a oscillé entre celle d’une femme fatale manipulatrice et celle d’une souveraine éclairée en avance sur son temps. La réalité, mise en lumière par les travaux récents, penche plutôt vers la seconde description. Cléopâtre était une femme de pouvoir accomplie : « Elle était philosophe. Elle était médecin. Elle était chimiste. Elle était spécialiste en cosmétologie », insiste Kathleen Martínez, rappelant à quel point la reine défiait les rôles de genre de son époque. Brillante et cultivée, parlant aussi bien le grec que l’égyptien, Cléopâtre a su s’imposer dans un monde d’hommes – ce qui explique peut-être pourquoi sa mémoire fut ternie par des récits hostiles.

Aujourd’hui, la quête de son tombeau revêt ainsi une dimension symbolique. Retrouver la sépulture de Cléopâtre, ce serait redonner la parole à l’une des femmes les plus puissantes de l’Antiquité, en éclairant sous un jour nouveau sa vie et sa mort. Pour de nombreux historiens, ce serait aussi rétablir une forme de justice vis-à-vis d’une reine dont l’héritage a été déformé par le prisme masculin des chroniqueurs anciens.

Kathleen Martínez et Bob Ballard : un duo d’explorateurs persévérants

Ironie de l’Histoire, c’est une autre femme au parcours peu conventionnel qui est aujourd’hui au premier plan de la recherche de Cléopâtre. Kathleen Martínez, 58 ans, n’était pas destinée à l’archéologie. Avocate pénaliste de formation en République dominicaine, elle a tout plaqué en 2005 pour se lancer sur les traces de son idole, Cléopâtre. Considérée d’abord comme une « outsider » par le milieu académique, cette passionnée d’histoire a abordé sa quête « comme une scène de crime à décrypter ». Elle a épluché les sources antiques, recoupé les indices, formulé ses propres théories là où d’autres ne voyaient que légendes. Son obstination a payé : en une vingtaine d’années de fouilles à Taposiris Magna, Martínez et son équipe ont exhumé des trésors précieux. Outre le tunnel monumental et le port submergé, ils ont découvert sur le site terrestre du temple une multitude d’artefacts : statues de divinités (dont Isis, la déesse chère à Cléopâtre), inscriptions grecques, lampes votives, objets rituels et même des pièces de monnaie frappées à l’effigie de Cléopâtre VII. Ces indices tangibles confirment que la reine et son entourage étaient honorés en ces lieux, renforçant l’idée que Taposiris abrite peut-être la tombe royale !

Pour franchir la dernière frontière – celle des profondeurs marines – Kathleen Martínez s’est alliée à un géant de l’archéologie sous-marine : le Dr Robert Ballard. À 81 ans, cet océanographe américain est mondialement connu pour avoir retrouvé l’épave du Titanic en 1985, ainsi que de nombreuses cités englouties. En 2023-2025, Robert Ballard a mis son expertise technique (sonars, robots sous-marins, cartographie 3D) au service du projet Taposiris Magna. Aux côtés de la marine égyptienne, son équipe a sondé le plancher océanique sur près de 10 kilomètres carrés. C’est ainsi qu’ils ont identifié la présence de structures artificielles alignées, enfouies sous le sable et le corail, correspondant au port antique. L’une de ces formations, baptisée « Salam 5 », comporte plusieurs blocs rectangulaires ressemblant aux bases de statues du temple à terre.

Au cours des plongées, Ballard et Martínez ont vécu des moments d’euphorie rares. « Les plongeurs sont en bas, ils ont découvert un port ! » s’est exclamée Kathleen Martínez depuis son radeau, joignant Ballard par téléphone satellite pour lui annoncer la nouvelle. L’instant, capturé par une équipe de tournage, témoigne de l’émotion des chercheurs face à une trouvaille de cette ampleur. « Deux mille ans ont passé et personne n’y était jamais allé. Nous sommes les premiers », a lancé l’archéologue à ses collègues en regagnant la terre ferme. Malgré l’ivresse de ce succès, le duo ne compte pas s’arrêter là. Munis de la carte sous-marine détaillée établie par Ballard, Martínez et ses plongeurs prévoient déjà de nouvelles fouilles ciblées sur la zone de Salam 5 et autour du port, dans l’espoir d’y déceler une entrée vers une chambre funéraire ou tout autre indice décisif. « Nous allons continuer à chercher, sur terre comme sous l’eau », assure Kathleen Martínez. Pour elle, trouver le tombeau de Cléopâtre n’est plus qu’une question de temps…

Trésors submergés et fierté nationale

Au-delà de l’aspect archéologique, cette découverte retentissante s’inscrit aussi dans le contexte plus large de la mise en valeur du patrimoine égyptien. Ces dernières années, l’Égypte multiplie les annonces de trouvailles majeures – momies dorées, sarcophages intacts, villes perdues – avec un double objectif : enrichir la connaissance du passé et stimuler l’intérêt du grand public, notamment des touristes. Le port englouti de Taposiris Magna ne fait pas exception. Le ministre du Tourisme et des Antiquités, présent lors de l’annonce, a souligné que ces vestiges confirment l’étendue du rayonnement maritime de l’Égypte antique, jadis au cœur des échanges commerciaux en Méditerranée. Il a salué une « contribution scientifique majeure à l’archéologie marine égyptienne » et insisté sur la volonté du gouvernement de soutenir ce type de projets, qui met en lumière les trésors immergés du pays.

Il est vrai que l’Égypte a de quoi faire rêver sous la surface de ses eaux. Dans la baie d’Alexandrie, les plongeurs explorent depuis des années les ruines submergées du palais des Ptolémées, de même que les cités englouties d’Héracléion et de Canope un peu plus à l’est : deux ports antiques disparus, redécouverts en 2000. Ces sites sous-marins exceptionnels renforcent le prestige culturel de l’Égypte et pourraient à terme être aménagés en musées subaquatiques uniques au monde. La perspective de retrouver le tombeau de Cléopâtre s’inscrit donc aussi dans une démarche de valorisation et de diplomatie culturelle. Un tel événement aurait un retentissement planétaire, ravivant la fascination universelle pour l’Égypte antique.

Enfin, cette découverte met également en lumière la coopération internationale en archéologie. Le projet de Taposiris Magna réunit des experts égyptiens, dominicains, américains et d’autres nationalités autour d’une même quête. Elle rappelle que la recherche historique n’a pas de frontières et que chaque avancée – fût-elle localisée dans une crique méditerranéenne – appartient au patrimoine commun de l’humanité.

Vers la fin d’un mystère millénaire ?

Il reste encore bien du travail avant de percer le secret du tombeau de Cléopâtre VII. Le port englouti de Taposiris Magna a livré ses premiers trésors, mais livrera-t-il la preuve définitive de la dernière demeure de la reine ? Les archéologues s’apprêtent à fouiller méthodiquement les structures submergées mises en évidence par le sonar, et chaque bloc de pierre remonté pourrait révéler un indice : une inscription, un fragment d’autel, qui sait – peut-être un jour l’entrée d’une chambre funéraire scellée. L’optimisme prudent est de mise dans l’équipe de Kathleen Martínez. « Je ne vais pas m’arrêter, ce n’est qu’une question de temps », affirme l’archéologue, convaincue d’être sur le bon chemin. Son aventure est cœur d’un documentaire intitulé Cléopâtre, le tombeau perdu, diffusé sur les principales chaînes de streaming, signe de l’engouement international autour de cette quête.

Le mystère de Cléopâtre touche-t-il à son épilogue ? Deux millénaires après la mort de la dernière pharaonne, l’espoir n’a jamais été aussi tangible de retrouver son tombeau. Et avec lui, peut-être, l’un des plus grands secrets de l’Antiquité égyptienne pourrait enfin sortir des eaux du passé.

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