Michèle Hayat, Le secret de la danseuse, Écritures, 23/05/2024, 171 pages, 19,00 €.
Le Secret de la Danseuse, roman vibrant et subtil de Michèle Hayat, nous transporte dans une Tunisie à la croisée des chemins. Au fil des pages, se dessine le destin de deux jeunes filles que la danse, la famille et l’histoire lient et séparent. Un récit poignant sur la quête identitaire, l’amitié, et l’acceptation d’un destin contrarié, porté par une plume à la fois fluide et poétique. Ne manquez pas ce voyage littéraire qui vous touchera en plein cœur.
Le tourbillon de la danse : fascination et désillusions
Dès les premières pages, Michèle Hayat nous plonge dans la Tunisie des années 1950, un pays en pleine effervescence où les communautés juive et arabe cohabitent dans un fragile équilibre. Pia, jeune fille juive issue d’une famille bourgeoise, grandit dans un univers privilégié fait de villas luxueuses, de domestiques dévoués et de soirées mondaines. Une existence dorée, mais teintée de solitude et de complexes.
L’arrivée de Delphine au cours de danse bouleverse son quotidien. Blonde, gracieuse et talentueuse, Delphine exerce sur Pia une fascination immédiate. « Son beau visage au teint clair, sa grâce, son corps qui promettait la perfection, la blondeur de ses cheveux m’avaient tout d’abord tenue éloignée ; son physique différait tant du mien, brune et replète. » Née sous une bonne étoile, Delphine nourrit le rêve d’une brillante carrière de danseuse, un destin qui contraste avec les incertitudes qui habitent Pia.
Cette amitié solaire lui ouvre de nouvelles perspectives. Au contact de Delphine, Pia découvre la beauté de la musique classique, la richesse de la littérature, la magie du jardin du Belvédère avec sa roseraie parfumée. « La curiosité des choses, l’émotion d’une musique, le goût de la lecture et de la nature, ces portes, c’est toi qui me les as ouvertes. », confie Pia à son amie, témoignant de l’influence profonde de celle qui l’entraîne dans une sorte d’apprentissage de la vie.
Mais ce tourbillon enchanté se heurte aux remous de l’Histoire. Le vent de l’indépendance souffle sur la Tunisie, amenant son lot d’incertitudes pour les familles non-musulmanes. « Il n’y aurait bientôt plus de place pour les non‑musulmans en général et pour les juifs en particulier. », réalise Pia en observant les transformations qui s’opèrent dans son pays natal.
La disparition soudaine de Delphine, blessée lors d’une répétition de danse puis introuvable à la sortie de l’hôpital, laisse Pia désemparée face à un destin bouleversé. Un événement tragique qui précipite la fin de l’innocence et ouvre la voie à un chemin semé d’embûches et de bouleversements.
À la recherche d'un nouveau souffle : déroutantes découvertes et renaissance
Alors que sa famille prépare son exil vers la France, Pia se lance dans une quête aussi audacieuse que périlleuse : retrouver Delphine et comprendre les raisons de sa fuite. Un hasard dramatique – un naufrage lors d’une sortie en mer avec son père – la conduit sur l’île mystérieuse de Zembra. Elle y croit apercevoir l’ombre de son amie, confirmant une intuition qu’elle avait jusqu’alors refoulée.
Guidée par une détermination nouvelle, Pia noue un dialogue difficile avec Youssef, homme taciturne et énigmatique qui lui révèle la présence de Delphine et de Djamila, ancienne femme de ménage de la famille, sur l’île. « J’étais décidée à revenir ici. C’est Youssef, encore le hasard, qui m’a donné une occasion que je ne pouvais manquer. » La rencontre est chargée d’émotion et Pia découvre une Delphine transformée. Amaigrie et fragilisée par sa chute qui l’a condamnée à boiter à vie, Delphine s’accroche néanmoins à Djamila comme à une bouée de sauvetage.
L’auteure distille avec subtilité les éléments du secret qui entoure Delphine et nourrit le suspens. Pia apprend que sa mère adoptive lui a caché sa véritable identité et que Djamila a été bien plus qu’une simple domestique, nourrissant et maternant Delphine dès son plus jeune âge. Ces révélations, bien que déstabilisantes, ouvrent un nouveau champ des possibles et libèrent Delphine du carcan du passé.
Entre Paris et Tunis, Pia découvre les réalités de l’exil et apprend à se construire sa propre identité. Son arrivée dans la capitale française est un choc. « Habitations sans élégance, usines, terrains vagues en construction… Un paysage sans âme et d’une grande tristesse sous la grisaille du ciel défila pendant mon trajet de l’aéroport vers Paris. L’émerveillement que j’avais imaginé fit place à l’inquiétude. » La confrontation à la vie étudiante et l’éloignement de sa famille la contraignent à s’adapter et à se forger un nouveau chemin.
Des rencontres inattendues viennent ensoleiller ce parcours initiatique : un jeune étudiant bienveillant lui déchiffre les arcanes du métro parisien ; une camarade israélienne l’aide à affronter l’antisémitisme et lui apprend à dédramatiser les embûches du quotidien par l’humour.
Le poids du passé refait néanmoins surface à travers une coïncidence incroyable. Dans une librairie du Quartier Latin, Pia découvre des contes pour enfants illustrés par une artiste praguoise décédée à Terezín. Les dessins ressemblent étrangement à ceux que la mère biologique de Delphine lui avait laissés. Serait-ce l’œuvre de Jitka ? La réponse se trouve dans les mains de Jean Herbert, éditeur tourmenté par l’alcoolisme, dont l’histoire tragique croise celle des deux amies.
Éclats de vies : acceptation et espérances
Avec une grande finesse, Michèle Hayat explore les thématiques de la culpabilité, de la filiation et de la résilience. Face à l’adversité, chacun des personnages fait des choix qui bouleversent leurs existences et les forcent à se réinventer.
Le Secret de la Danseuse n’est pas un simple roman d’apprentissage. C’est une véritable ode à la reconstruction et à la puissance de l’amitié face aux épreuves de la vie. A la manière d’un Albert Camus dans L’Étranger ou d’une Simone de Beauvoir dans Mémoires d’une jeune fille rangée, l’auteure nous invite à une profonde réflexion sur les choix qui forgent le destin et sur la liberté de se construire en dehors des carcans familiaux et sociaux.
Une écriture fluide et poétique, un univers exotique et attachant, et une galerie de personnages complexes et émouvants font du Secret de la Danseuse un roman captivant qui ne vous laissera pas indifférent.
Chroniqueur : Jeanne Lartaud
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