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Léonor de Récondo, Le grand feu, Grasset, 16/08/2023, 1 vol. (220 p.), 19,50€

Incandescent et virtuose !
Certes les jeux de mots sont faciles lorsque l’on parle d’incandescence et de virtuosité pour qualifier un roman titré Le grand feu et dont l’autrice est à la fois une romancière et un violoniste reconnue. Mais au-delà des mots, c’est bien un roman brûlant que nous offre ici Léonor de Récondo autour d’un thème et grâce à une écriture à nuls autres pareils.

Venise au début du XVIIIe siècle, ville merveille posée sur sa lagune mais aussi ville martyre, récemment frappée par la peste. C’est dans ce cadre et ce contexte que naît Ilaria, sixième enfant d’une famille de marchands de tissus où les enfants morts-nés sont presqu’aussi nombreux que ceux qui viennent au monde. Lorsqu’Ilaria parait, sa famille décide de la confier à la Pietà, institution vénitienne vouée à recueillir les enfants abandonnés ainsi que ceux que les bonnes familles de la Sérénissime veulent bien lui confier.  Dans ce cocon isolé de tout et de tous, mi-couvent, mi-caserne militaire, les petites filles grandissent entre elles jusqu’à devenir de jeunes femmes que l’on protège des tentations du dehors et des garçons. Surtout, et c’est ce qui fait l’originalité de la Pietà, les enfants qui la peuplent y sont instruits à la musique, véritable sacerdoce épousé par chacune avec la rigueur qu’impose la vénérable institution. D’abord attirée par le chant, c’est grâce au violon qu’Ilaria va très tôt trouver sa voie (mais l’on pourrait également écrire sa voix). Il prete rosso (le prêtre roux) qui n’est autre que le maestro Antonio Vivaldi, va la prendre sous son aile pour lui enseigner à ne faire qu’un avec son instrument, à faire corps et s’enflammer avec lui. Au-delà de son élève violoniste, Ilaria deviendra bientôt la secrétaire musicale de Vivaldi, recopiant ses partitions voire les complétant quand son maître, débordé, n’aura pas le temps de les terminer.
Mais ni les concerts qui l’embrasent, ni la musique qu’elle apprend et écrit, ni l’existence morne et cloîtrée au sein de la Pietà ne renseignent Ilaria sur ce qui se passe hors des murs de sa prison et qui pourtant l’attire comme un aimant. Les parfums de la ville, la beauté de ses canaux et de ses palais, les masques et les mystères du carnaval ne sont que des mirages à peine entrevus ou imaginés par la désormais jeune fille qui étouffe de trop de privations. L’ailleurs va prendre le visage de Prudenza et de son frère qui en introduisant l’amitié et l’amour dans la vie d’Ilaria vont lui apporter ce grand feu que seule la musique avait su susciter jusqu’alors. Les fils du destin sont désormais noués qui conduiront à un dénouement lui aussi embrasé.
Léonor de Récondo est donc à la fois autrice et violoniste baroque. De cette double condition, elle tire une manière unique d’écrire le rapport à la musique, le corps et l’instrument qui ne font qu’un, la puissance des émotions suscitées et qui ont tant à voir avec l’amour. Lorsqu’elle écrit par exemple :

C'est dans le son qu'elle déclare son amour, qu'elle le déclame ; une exaltation du corps qu'elle ne trouve nulle part ailleurs que dans l'archet sur la corde. La vibration ondulante. Point de poèmes, point de mots assez beaux pour exprimer cette intensité-là. Parfois, en répétitions, quand son corps parfaitement aligné avec son âme, sans aucune tension, dans une joie profonde, parvient à jouer, quand l'onde circule lentement, elle se dit, j'y suis. Je deviens la respiration du monde.

Léonor de Récondo nous ouvre un monde, le sien, celui des musiciens et nous l’arpentons avec un bonheur pareil à celui que nous ressentons à la suivre dans la Venise du XVIIIe siècle. L’ensemble compose un roman hors du commun qui est l’un des évènements de cette rentrée littéraire.

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Chroniqueur : Alain Llense

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