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Un titre énigmatique pour un drame social très attendu dont l’action se situe en plein Massif central. Loin de nous décevoir, Franck Bouysse qui nous avait déjà ébloui avec “Né d’aucune femme”, nous subjugue avec ce dernier roman.
Dès le prologue “Buveurs de vent” n’est pas sans nous rappeler le Giono de “Que ma joie demeure”, dont l’auteur s’était déjà inspiré pour Glaise. Au commencement, un homme et une femme au bord d’une rivière, une nature aquatique, des berges obscures, de l’eau plus ou moins stagnante autour d’un cadavre… Les ingrédients fétiches de l’écrivain pour remodeler l’humanité sont présents : l’eau, la terre, l’air, la langue.
Dans ce roman rural l’auteur nous plonge dans le vide d’une famille habitant au Gour noir, une vallée gangrenée par le pouvoir tyrannique de Joyce, maître haï autant que craint. La centrale électrique qu’il dirige enferme les habitants dans sa toile ; elle les étouffe, les broie peu à peu. Prisonniers de cette pieuvre géante, quatre adolescents se suspendent tous les jours au dessus du viaduc longeant le barrage qui retient leurs vies, leurs rêves, leurs âmes. Tandis que leur père, traumatisé par la guerre tente d’oublier au bar, Elie, le grand-père infirme veille en retenant sa colère contre sa fille Martha, devenue bigote. Pendant ce temps, le rituel vertigineux s’accomplit : par défi envers ces adultes indifférents, pour se mettre en danger, pour tenter le diable…
Dans cette famille déstructurée, seule la fille apporte l’espoir en initiant les garçons aux joies de l’amour. Son frère Marc s’évade dans les mots. Mais un jour, tout bascule : la jolie Mabel au corps de sirène disparaît, rejetée du clan par sa mère. Mathieu, l’amoureux de la nature, perd les pédales ; Luc, l’idiot génial s’emballe ; un nain et un géant, hommes à la solde de Joyce, menacent. Nous plongeons alors dans le roman noir, le polar mafieux. Une question se pose : qui les sauvera ? La réponse viendra-t-elle des cieux, comme le pense la mère, ou d’un marin justicier voulant régler ses comptes à la vie, au destin ? Peu à peu, malgré leurs faiblesses, le lecteur s’attache à ces personnages en errance. Il désire qu’ils s’en sortent, il voudrait les sauver des autres et d’eux-mêmes, les aider à s’affranchir et à donner un sens à leur quête. Dans ce combat sans merci entre les forces du bien et celles du mal, on ne sait plus trop à qui se fier. Seule la puissance de l’amour fraternel représente une valeur sûre.
On peut bien entendu lire ce roman comme une immense allégorie de notre monde capitaliste d’aujourd’hui où l’individu broyé cherche désespérément une issue. Le combat pour la cause environnementale n’échappe évidemment pas au lecteur. L’auteur a magistralement réussi à nous emporter malgré nous dans une aventure palpitante dont les héros finissent par prendre chair dans nos têtes : peut-être resteront-ils gravés dans notre mémoire à la manière des mineurs de Zola dans “Germinal”… Malgré la noirceur, le miracle opère : sous les ombres qui obsèdent les personnages, le roman regorge de poésie. Elle explose dans la description de la nature qui nous saisit, dans la tendresse de certains dialogues opérant comme des moments de grâce, et surtout, dans la lumière filtrant à travers l’écriture épique et envoûtante de l’auteur. Arrivé au bout de cette épopée vertigineuse, on retrouve espoir et on en redemande, pour l’intrigue autant que pour le style.

Bouysse, Franck, « Buveurs de vent », Albin Michel , »Romans français », 19/08/2020, Disponible, 1 vol. (391 p.), 20,90€.

Marie-José DESCAIRE
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