Pour les amateurs du genre, le titre d’une saga, à lui seul, fait resurgir un univers. De nos adolescences, gourmandes en lecture, jaillit la série des Jalna en seize volumes par Mazo de la Roche, auteure canadienne, publiés entre 1927 et 1960. Ou celle des Gens de Mogador, plus proches de nous, dans leur Provence natale, œuvre d’Elisabeth Barbier éditée chez Julliard en 1947.
Suivi sur la durée et inscrit sur le fond de l’histoire d’un pays, chaque personnage en devient inoubliable.
Aurélia Gantier, en voulant clôturer sa trilogie sur les familles Panzone et Volponi, Siciliens de Tunis immigrés en France, nous remplit de regrets, tant on envisagerait bien une suite.
Et elle fait naître l’envie de découvrir les deux précédents volumes Genèse tunisienne et Clichy sur scène parus en 2018 et 2020 aux éditions « Une heure en été« .
Sur la terre et dans les cieux déroule le destin des cinq enfants nés de l’union sans amour du volage et brutal Marcello Volponi et de la belle Crocefissa Panzone. Quatre filles et un unique garçon qui, chacun à sa manière, va tenter de s’émanciper d’une tutelle archaïque et de fuir l’appartement exigu de Clichy-la-Garenne.
Leur intégration dans une société française en pleine mutation, dès l’immédiat après-guerre, n’a pas été facile.
Pour ces jeunes « ritals » il y a eu la crainte du père, le poids de la tradition et du regard d’autrui ; une forme d’attachement à la mère et aux liens familiaux, jamais totalement rompus.
Mais aussi ce sentiment mal défini qu’autre chose est possible. Des portes s’ouvrent sur des rencontres…
Alors les filles fuient dans des mariages désastreux, la plus rebelle s’engloutit dans les paradis artificiels qui ravagent le corps et obscurcissent l’esprit.
Tandis que s’épanouissent « les Trente Glorieuses », le fils et les gendres découvrent les magouilles et l’argent facile. Pierre Volponi devient un patron sans scrupule.
Certes, on n’est pas dans l’univers du « Parrain » (Francis Ford Coppola, 1972).
Mais la violence est bien présente : à l’intérieur du microcosme familial où une mère se tait pour s’épargner les coups, dans les bistros où se noient les chagrins, comme dans les nuits troubles où Bruno, l’homme-enfant exprime son mal-être…
Elle est là dans ces rapports de domination qu’exercent les mâles qui se permettent tout : le mensonge, la trahison, l’absence ou le mépris.
Elle est là dans la soumission des femmes qui fatalistes ou désespérées, subissent encore et toujours… Elles s’interdisent de rêver alors qu’à l’extérieur les choses changent, que des combats se mènent et se gagnent pour elles.
Aurélia Gantier sait bien raconter cette violence, qu’elle émane du père, du mari ou de l’amant délaissé… Elle sait aussi rendre la force de ces femmes méditerranéennes investies dans leur amour maternel, dans leur tâche modeste auprès du mari défaillant, que sont Crocefissa et Rosaria aux prénoms lestés de souffrance, dont elle fait de très beaux portraits. Celle de Marie-Claire, capable à force de volonté et de méthadone de se hisser hors de l’infernale spirale de l’héroïne.
Elle sait restituer ce milieu populaire où, sous la grisaille du ciel de banlieue, malgré toutes les vicissitudes, on transmet encore les souvenirs solaires de l’île lointaine ou les recettes du pays perdu.
Elle a compris qu’il faut savoir attendre. Dans quelques décennies les Siciliens de Tunis se seront assimilés. Déjà une autre génération pointe, qui accède à la connaissance, qui a des ambitions et qui en a assez vu dans sa famille pour savoir, sans reniement, choisir son destin.
Elsa, la fille de Rosaria, l’aînée et la plus mal aimée des enfants Volponi, sera « avocate dans les droits humains ».
Décidément elle ressemble beaucoup à son auteure qui se dit « militante pour les droits de l’homme, de la littérature et de la flânerie ! »
Alors, peut-être pouvons-nous espérer qu’Aurélia Gantier lui consacrera au moins un roman ? Nous l’attendrons !
Christiane SISTAC
contact@marenostrum.pm
Gantier, Aurélia, « Les Volponi Sur la Terre et dans les cieux », Une Heure en été, « Les Volponi », »04/11/2021″, »1 vol. (300 p.), 19,50€
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