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Lydie Decobert, Hitchcock, le maître enchanteur. Doubles et troubles, défunts et malins, L’Harmattan, Champs Visuels, Août 2023, 232 p., 24 €.

Les livres sur Hitchcock sont pléthore, Lydie Decobert, elle-même, a écrit 4 ouvrages sur Hitchcock chez L’Harmattan : L’escalier dans le cinéma d’Alfred Hitchcock, une dynamique de l’effroi (2008), L’arc d’Alfred Hitchcock, un jeu de cordes (2013), La corde musicale d’Alfred Hitchcock (2015), La peinture à l’œuvre dans le cinéma d’Alfred Hitchcock (2018), Les jeux de rideaux d’Alfred Hitchcock (2021), mais ce cinquième opus, Hitchcock, le maître enchanteur – jeu de mots avec maître chanteur qui rime à merveille avec Blackmail (Chantage, 1929) apporte une dimension captivante avec un Hitchcock sous le prisme de la féérie et du conte. Hitchcock était le maître du suspense, l’auteure le sacre de sa plume alerte en un sorcier de l’image qui envoute et transporte dans des mondes magiques et cauchemardesques peuplés de méchantes fées. Ces êtres maléfiques et mortifères sont, comme le précise le sous-intitulé, des doubles et troubles, défunts et malins qui viennent charmer les vivants et mettre en péril leur existence. L’illusionniste de l’image transforme par magie noire la banalité du quotidien en un fantastique angoissant. Retirant toute parole, il attire et captive l’œil et l’esprit. Il n’a nul besoin d’œuf de dragon, de peau de crapaud, de chaudron bouillonnant ou d’incantation mystérieuse, mais trouve une racine de ciguë (The Paradine Case, Notorious), une momie de sorcière (Psycho), une tête réduite (Under Capricorn), voire un verre de lait (Suspicion) ou une île magique (Strangers on a Train). Ses héroïnes et héros sont la réincarnation de Blanche Neige, Cendrillon, le Petit chaperon rouge, Barbe-Bleue, le grand méchant Loup, Dr Jekyll et Mr Hyde…

Rebecca, Cendrillon et Alice au pays des cauchemars

Rebecca (1940) est le premier conte de fées hitchcockien qui contient tous les ingrédients inhérents au genre fantastique onirique et horrifique : le château royal, le bois immense et impénétrable, la clé et la porte fermée, la pièce interdite, le tableau maléfique, le miroir divinatoire, le bal costumé… Le film débute dans un flash-back où la nouvelle madame de Winter commence son récit par : « Il était une fois Manderley », manoir hanté qui apparaît dans l’obscurité d’un soir nuageux sous une brume maléfique (et qui a inspiré Xanadu, le domaine de Citizen Kane (1941) d’Orson Welles). La future Madame de Winter est Cendrillon, souillon à tout faire, humiliée par une grosse et vieille marâtre, fortunée et jalouse de sa beauté, qui l’exploite au Princess Hotel (au nom prédestiné) à Monte Carlo. Elle épouse le Prince Charmant (Maxim de Winter, un richissime aristocrate), et, métamorphosée en un coup de baguette magique en châtelaine et lady, va mener une nouvelle vie dans un autre monde où une armée de domestiques est à ses ordres. Mais elle rencontre une autre super-marâtre (Mrs Danvers, la gouvernante) qui la torture mentalement. La clé et la porte ouvrant dans un autre monde font référence à Alice aux pays des merveilles, l’interdit d’ouvrir la porte et de découvrir l’au-delà à Barbe-bleue. Pour le bal costumé, Maxim demande à son épouse de s’habiller en Alice au pays des merveilles et la nouvelle madame de Winter – qui n’a pas de nom (de jeune fille), elle est seulement la seconde femme de Maxim de Winter – est toujours une enfant timide et apeurée qui ne sait pas commander, qui se demande qui elle est, où est sa place, comment s’habiller et se comporter en société, et qui doit apprendre à grandir et à devenir une femme, belle et sûre d’elle. Enfin, Maxim n’est-il pas Barbe-Bleue ayant tué sa première femme ?

Notorious, Blanche Neige et la Belle au bois dormant

Alicia de Notorious (Les enchaînés, 1946) est Blanche Neige qui annonce d’entrée la couleur lorsqu’elle va dans l’antre du Loup, Alexander Sébastian, ancien ami de son père nazi, dans une toilette de blanc immaculé, suggérant son sacrifice. Elle rencontre aussitôt l’hostilité d’Anna Sébastian, sa mère, qui, telle la belle-mère de Blanche Neige, est jalouse que son fils puisse aimer une autre personne qu’elle, ose lui résister et, pire, épouser Alicia malgré son opposition. La mère n’a aucune difficulté à se transformer en noire sorcière en versant de l’arsenic dans la tasse de café de celle qui a envoûté son fils. Celui-ci est non pas un “gentil nain“ mais un “méchant nazi“, et ce n’est pas un hasard, si, en plus du fils et de sa mère, se trouvent 5 autres nazis, encore plus cruels et fanatiques, qui forment tous les 7 nazis. Dans la salle à manger, Alicia est l’agneau sacrifié d’une meute dont elle est l’unique menu éclairé aux chandelles, faisant écho au conte, lorsque les 7 nains, rentrant de la mine, allument leurs sept bougies et voient que quelqu’un est entré. Alicia empoisonnée, perdant la raison et la vue et mourant à petit feu, Devlin se transforme en Prince charmant qui, bravant le danger et défiant Alexander et les Nazis réunis, réveille dans sa chambre la Belle au bois dormant alitée en prononçant la formule magique : « I love you ». Comme dans tout conte, seul l’amour peut vaincre le mauvais sort et le Mal, tel le Diable rageant dans Les visiteurs du soir (1942) de Marcel Carné.

To Catch a Thief, les chats, les souris et la Princesse

Pour finir en beauté avec le chat, dans To Catch a Thief (La main au collet, 1955), Hitchcock emmêle les spectatrices et les spectateurs avec de vrais et faux chats (au sens propre et figuré) et de vraies et fausses souris qui jouent au chat et à la souris, se séduisent et se défient à mort. Alors que la Côte d’Azur est la proie d’un Chat, surnom d’un voleur agile qui s’en prend nuitamment aux riches souris, le vrai Chat, Robie (Cary Grant), qui vit retiré dans une superbe villa surplombant la mer, va devoir enquêter pour trouver celui qui se fait passer pour lui et qui vient troubler sa retraite heureuse et paisible. Le Chat va aussi tomber dans les rets d’une superbe souris, Frances (Grace Kelly), riche et belle Américaine – et future princesse de Monaco – qui va lui faire perdre pied, la tête et les sens, ce qui est fâcheux pour un voleur passant par les toits. Le faux Chat étant une souris, qui plus est amoureuse aussi du vrai Chat, La main au collet est un conte à dormir debout, une histoire ne manquant ni d’humour ni de glamour. De fait, Hitchcock renverse les valeurs, le Chat-Chat ou Chat-bonté est positif et la Souris-Chat (qui ne l’a pas volé) est condamnée, telle la grenouille qui se prenait pour un bœuf, à tomber …sous ses griffes !


Ces trois exemples filmiques ne peuvent (ra)conter la richesse féérique en mots et iconographique en images – de nombreux photogrammes noir et blanc illustrant abondamment le texte – de cet ouvrage. Il faut aussi découvrir, d’une part, La Belle et la Bête, Le Petit Poucet, Psyché,  Riquet à la houppe, Rose d’épine, les six cygnes, les trois petits cochons, d’autre part, les rondes enchantées et enfantines (Shadow of a Doubt, Strangers on a Train), les valses folles (Waltzes from Vienna, Saboteur, Under Capricorn), les spectres tant mortifères que colorés (Rebecca, Vertigo), les clés qui libèrent ou qui enferment (Strangers on a Train, Notorious, Dial M for a Murder), les forêts enchantées (Down Hill, Rich and Strange), les escaliers organiques (Vertigo, Frenzy..)(qui étaient attendus, le sujet de thèse de Lydie Decobert, agrégée d’arts plastiques et docteur ès arts et sciences de l’art, étant : L’escalier ou les fuites de l’espace, une structure plastique et musicale, 2001, Paris 1). Pour conclure en ergotant, la bibliographie finale, qui réunit Apulée, Baudelaire, Carroll, Cervantès, Chevalier, Gainsbourg, Proust…, pourrait inclure (Bruno) Bettelheim pour son incontournable Psychanalyse des contes de fées (Pluriel, Robert Laffont, 1976).

Image de Chroniqueur : Albert Montagne

Chroniqueur : Albert Montagne

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