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Nicolas Bernard, Oradour-sur-Glane, 10 juin 1944 : histoire d’un massacre dans l’Europe nazie, Tallandier / Ministère des Armées, 28/03/2024, 1 vol. (393 p.), 22,90€.

À l’occasion du triste anniversaire des quatre-vingt ans du martyre d’Oradour-sur-Glane les éditions Tallandier publient un ouvrage marquant intitulé « Oradour-sur-Glane, 10 juin 1944 : Histoire d’un massacre dans l’Europe nazie« . L’auteur, avocat au Barreau de Paris et spécialiste reconnu de la Seconde Guerre mondiale, revient en détail sur l’un des épisodes les plus tragiques de l’Occupation en France. Les faits sont connus : le 10 juin 1944, la division SS Das Reich massacre 643 civils, dont plus de 200 enfants, dans le village d’Oradour-sur-Glane. À travers une analyse rigoureuse de nombreuses archives françaises et allemandes, Nicolas Bernard retrace les causes et le déroulement de ce crime, ainsi que ses multiples répercussions mémorielles, judiciaires, politiques et diplomatiques. Son récit d’une grande précision replace cet événement dans le contexte plus large de la terreur nazie en Europe occupée. Quatre-vingts ans après les faits, alors que les derniers témoins disparaissent, ce livre s’impose comme une référence essentielle pour comprendre et transmettre la mémoire d’Oradour, devenue un symbole universel des atrocités commises par le Troisième Reich. Dans un contexte de résurgence de l’extrême droite en Europe, symbolisée par les propos choquants de Maximilian Krah sur les SS, il est crucial de rappeler l’horreur absolue des crimes commis par le Troisième Reich. Le massacre d’Oradour, devenu un « symbole universel » de cette barbarie, cristallise l’enjeu mémoriel et pédagogique.

Un procès et une amnistie qui ne satisfont personne

En 1953, un procès s’ouvre à Bordeaux pour juger les criminels d’Oradour. Mais ces audiences tant attendues tournent au fiasco. Sur le banc des accusés ne figurent que 21 subalternes, dont 14 Alsaciens « malgré-nous » enrôlés de force dans la SS. Les généraux responsables sont aux abonnés absents, à l’image du SS-Brigadeführer Heinz Lammerding qui coule des jours paisibles en Allemagne de l’Ouest. Les débats sont parasités par les tensions entre le Limousin, qui exige justice pour ses martyrs, et l’Alsace qui s’indigne de voir ses fils traités en bourreaux. Comme le résume un témoin alsacien : « Qu’on le veuille ou non, c’est bien le procès de l’Alsace qui se fait. » Le verdict ne satisfait personne : seuls deux accusés écopent de la peine capitale, dont l’Alsacien Georges-René Boos, engagé volontaire. Les autres sont condamnés à des peines de travaux forcés, aussitôt effacées par une loi d’amnistie votée en catastrophe sous la pression des élus alsaciens. Pour l’association des familles des martyrs d’Oradour (ANFMOG), c’est un « coup de poignard dans le dos« . Cet épilogue amer installe un profond divorce entre les victimes et les autorités françaises.

Des décennies de repli et de silence

Trahie par la Justice, la communauté d’Oradour se mure dans le silence et le deuil durant plusieurs décennies. Sa relation avec l’État français reste difficile, comme en témoigne le refus d’inviter ses représentants aux cérémonies commémoratives. Les ruines du village, conservées à la demande des familles, deviennent une « nécropole nationale où régneront la décence, l’austérité, le respect, le silence« , loin des querelles politiques et mémorielles. Mais l’isolement n’est pas total. À partir des années 1970, des œuvres littéraires et cinématographiques, comme le roman « Un vieux fusil » de George Magnane adapté au cinéma par Robert Enrico, contribuent à forger la mémoire du drame au-delà du Limousin.
La position des autorités ouest-allemandes reste, elle, longtemps ambiguë. Soucieuses de réhabiliter leur image et d’ancrer la RFA dans le camp occidental, elles évitent soigneusement le sujet d’Oradour. Leur stratégie : indemniser discrètement les victimes et entraver les procédures judiciaires contre les anciens SS en s’abritant derrière des arguties juridiques. Ainsi, malgré la signature en 1971 d’un accord permettant de poursuivre en Allemagne les criminels condamnés par contumace en France, aucun des bourreaux d’Oradour ne sera inquiété outre-Rhin. L’ancien général Lammerding s’éteint paisiblement en 1971, un comble pour cet entrepreneur prospère dont les camions portant son nom « sillonnaient la région« .

Les Ombres du Passé : négationnisme et réhabilitation nazie

Les lacunes et les ambiguïtés de la justice française et allemande dans le traitement des crimes d’Oradour ont laissé le champ libre à la propagation d’un négationnisme virulent, porté par d’anciens SS et leurs épigones. Loin d’être anecdotique, ce courant révisionniste vise à blanchir la division Das Reich pour réhabiliter le nazisme dans son ensemble, et le rendre à nouveau présentable sur la scène politique.

L’un des principaux artisans de cette entreprise de falsification est Herbert Taege, ancien gardien du camp de concentration de Dachau. Déjà remarqué par ses supérieurs pour son fanatisme « au-dessus de la moyenne« , il met sa plume au service d’une réécriture éhontée de l’histoire d’Oradour. Dans deux brûlots publiés en 1981 et 1985, il reprend sans vergogne la propagande diffusée par les nazis au lendemain du massacre, présentant le crime comme des représailles légitimes contre les « terroristes » du maquis. Avec une mauvaise foi confondante, il va jusqu’à affirmer que les SS auraient en réalité sauvé des femmes et des enfants de l’incendie de l’église !

Loin d’être marginales, ces affabulations se répandent comme une traînée de poudre en Allemagne. On les retrouve jusque dans des guides touristiques et des publications universitaires, signe inquiétant d’une banalisation du révisionnisme dans certains milieux intellectuels. Cette complaisance s’explique en partie par la persistance d’anciens réseaux nazis, recyclés dans l’appareil d’État et éditorial de la jeune RFA.

En France, le flambeau du négationnisme est repris dans les années 1990 par Vincent Reynouard, militant néo-nazi plusieurs fois condamné pour ses écrits infâmes. Son livre Le massacre d’Oradour : un demi-siècle de mise en scène, interdit à la vente mais accessible sur internet, recopie sans scrupule les élucubrations de Taege. Sa méthode, décryptée par l’historien Bernard Comte au sujet de la Shoah : « associe l’hypercritique à la fabulation, l’ergotage sur les détails et sur les mots à l’ignorance massive du contexte, et cherche à faire apparaître comme conclusion d’une démonstration ce qui est postulat affirmé au départ. » Une véritable entreprise de déconstruction de la vérité historique, qui pioche dans la boîte à outils complotiste pour mieux se draper dans les habits de la science.

Derrière ces gesticulations pseudo-savantes, le but de Reynouard et de ses semblables est limpide : exonérer la Das Reich pour dédouaner l’ensemble du régime nazi et le rendre à nouveau fréquentable politiquement. Un projet particulièrement inquiétant à l’heure où l’extrême droite, des deux côtés du Rhin, renoue avec une rhétorique ouvertement révisionniste. Quand un cadre de l’AfD affirme que les SS n’étaient « pas automatiquement des criminels » et que Marine Le Pen refuse de voir dans le RN un avatar du fascisme, l’ombre portée d’Oradour rappelle la permanence du poison brun.

Face à cette offensive mémorielle, le travail de Nicolas Bernard prend tout son sens. Par la rigueur de sa démarche historique, l’auteur démonte méthodiquement la mécanique du négationnisme, révélant les grossières falsifications et les approximations sur lesquelles il repose. Surtout, en replaçant le massacre dans le contexte global du système d’occupation nazi, il met à nu le caractère intrinsèquement génocidaire d’un régime bâti sur la terreur et le racisme. Une vérité que les Taege et les Reynouard s’évertuent à masquer en noyant le poisson des responsabilités.

La Mémoire d'Oradour-sur-Glane : Un devoir sacré face aux extrêmes droites

À travers l’histoire du massacre d’Oradour, des errements de la mémoire et de sa difficile renaissance, le livre de Nicolas Bernard offre une plongée saisissante dans la face la plus sombre du XXe siècle européen. Son récit minutieux met en lumière l’incroyable degré de barbarie atteint par la machine de mort nazie, pour qui l’extermination de 643 innocents n’était qu’un « détail » – pour reprendre le qualificatif de l’ancien président du FN – de plus dans une politique de terreur à l’échelle du continent. Il révèle aussi les ambiguïtés et les lâchetés des autorités françaises et allemandes de l’après-guerre, plus soucieuses de tourner la page que d’établir les responsabilités. Mais par-delà ces zones d’ombre, une lueur finit par percer. Après des décennies d’amnésie, Oradour est devenu un symbole universel des atrocités nazies, reconnu et enseigné comme tel des deux côtés du Rhin. Son nom, comme celui d’Auschwitz ou du ghetto de Varsovie, porte à jamais témoignage de ce que l’homme est capable de faire à l’homme quand triomphent le racisme et le totalitarisme. Entretenir cette mémoire est un devoir sacré, surtout à l’heure où l’extrême droite relève la tête partout en Europe, des néonazis allemands de l’AfD aux nostalgiques de Pétain au sein du Rassemblement National ou encore Éric Zemmour soutenant une thèse révisionniste selon laquelle Pétain aurait protégé les juifs français, notamment lors de la rafle du Bel d’Hiv.

Face à des tentatives de réécriture de l’Histoire, des livres comme celui de Nicolas Bernard sont des remparts essentiels. Par son souci d’exactitude historique, sa rigueur dans l’exploitation des archives, son refus des polémiques stériles, cet ouvrage impose une vérité : celle de l’horreur absolue d’Oradour, que nul ne peut nier sans se rendre complice des bourreaux.

Image de Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

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