Sonia Mabrouk, Reconquérir le sacré, Éditions de l’Observatoire, 08/03/2023, 1 vol. (138 p.), 19€.
Disons-le clairement en préambule. Il faut une bonne dose de courage pour discourir sur un concept, le sacré, terme tabou à bien des égards, y compris des politiques prenant soin de l’occulter de leurs discours. Et une non moins pincée d’audace pour l’étayer librement lorsque l’on est une figure en vue de l’environnement médiatique.
Tel est bien le double mérite de Sonia Mabrouk qui, tant par l’analyse fouillée du sujet que par sa perception intimiste, livre un essai convaincant. À commencer par l’entendement qu’elle confère à ce mot.
Bien que relevant essentiellement de l’intériorité, le sacré n’est pas forcément d’essence religieuse. (explique-t-elle) Censé faire le lien au sein de la société que ce soit dans la contemplation de la nature ou au travers d’objets et des lieux de mémoire, il peut parfaitement revêtir un caractère civil.
C’est cette notion, essentielle à toute vie en collectivité et tenue à l’écart d’un Occident européen que l’auteur développe dans son avant-propos. Car s’il peut contribuer au bonheur comme à la survie d’un monde de plus en plus désenchanté, « le sentiment du sacré n’est pas une voie facile », prévient-elle.
Pour pleinement se le réapproprier, il faut savoir se dépayser, dénicher ce qui est encore insoupçonné à nos regards. C’est-à-dire, « chasser les mauvaises ombres qui nous empêchent de penser autrement qu’au travers de machines et de chiffres. »
Soucieuse d’étayer son propos, l’autrice cite Max Weber et René Girard mais aurait très bien faire référence à Georges Bernanos, lorsque dans La France contre les robots le pamphlétaire stigmatisait il y a presque un siècle, « le piètre avenir de l’homme aliéné par la technique, réduit à un animal économique et dépourvu de toute vie intérieure « .
Cette nécessité du sacré définie « comme la part irréductible de l’être », Sonia Mabrouk en délivre alors une perception plus personnelle.
Dans mon cas, commente-t-elle, j’ai ressenti physiquement une métamorphose, comme s’il y avait passage d’un état à l’autre. Mon esprit et mon âme aux aguets, je me sentais redevable de ce qui m’avait été donné pour me confronter avec le réel, au plus près de l’incarnation des choses.
Cette mutation pour cette journaliste essayiste s’opéra dès l’enfance par sa proximité avec un édifice religieux, la cathédrale de Carthage.
Sensible à la beauté que « son monument » suscitait en elle sur le chemin de l’école, elle perçut une fois à l’intérieur, le signe d’un moment suspendu qui allait infléchir sa destinée. Un peu comme si elle disposait brusquement de deux corps, confie-t-elle : « L’un bien réel, présent dans cette cathédrale. Et puis un autre, ignorant l’apesanteur faisant fi de toutes les réalités terrestres et s’accordant une danse avec la mélodie du sacré. »
Ce sentiment de l’ailleurs qui est en fait à l’intérieur de soi-même, « tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé », comme le formulait Pascal, la jeune Tunisienne l’expérimentera avec la même prégnance lorsqu’elle visitera la synagogue de Ghriba sur l’île de Djerba ou lors des cérémonies au Mont Valérien, haut lieu de la mémoire nationale.
Autant de perceptions propres qui, parce qu’elles sont loin de faire consensus, incitent l’autrice à développer son sujet. Réfractaire à une société encline à n’assouvir que ses besoins et à gommer sa part d’invisible, elle fustige avec force les projets scientistes et transhumanistes d’Elon Musk et autres Zuckerberg. Elle souligne :
Bourré de nanocomposants, ouvert à toute modification génétique, l’homme transformé basculera-t-il définitivement du côté de la machine ? Bercé par l’illusion de tout dominer, il deviendra une entité secondaire en son propre royaume, ne sachant plus si la technologie est à son service ou s’il en est devenu l’esclave. Quel vertige !
Plutôt que de céder à un progrès stérile et déshumanisant, laissons-nous davantage se réconcilier avec la nature : « cette sœur (terre) qui crie en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle », indique-t-elle ensuite citant l’encyclique Laudato si du pape François.
Une référence à l’univers religieux auquel Sonia Mabrouk va consacrer tout un chapitre « Chrétienté et place du sacré » pour évoquer tout autant l’importance de ses racines spirituelles que celles du patrimoine.
Une défense de l’héritage chrétien, qui n’a d’égal à ses yeux que la préservation des pierres vivantes d’édifices religieux, comme le prouve l’incendie de Notre-Dame de Paris.
Ce n’est pas seulement la destruction d’un patrimoine qui a sidéré une partie du monde, c’est davantage ce que renvoyait la cathédrale en tant que mémoire sacrée qui nous a tous émus.
Mais cette notion du sacré ne se limite naturellement pas au seul domaine chrétien. Chacune pour leur part, les branches du monothéisme en détiennent les ferments comme l’illustrent les deux volets consacrés à la vigueur du sacré en Islam et la spécificité de Jérusalem. L’Islam par le biais même du Coran, livre sacré par essence, « ultime révélation après la Torah et l’Évangile, considérée comme une dictée surnaturelle enregistrée par le prophète inspiré, » témoigne-t-elle en référence à Louis Massignon. Et la Ville sainte de Jérusalem, qui en dépit de sa propension à être un point de rencontre entre la terre et le ciel « demeure par les convoitises et déchirements qu’elle suscite, une réalité illusoire du sacré. »
Après un bref mais attrayant chapitre sur le bien-fondé du renoncement dans la Bhagavad-Gita et ses vertus agissant « comme une libération par rapport à de nombreux faux désirs qui enferment et risquent de nous entraîner vers un abîme de tristesse », la rédactrice de l’ouvrage a ainsi passé en revue les aspects du sacré dans l’univers des spiritualités.
Ce qui, malgré sa part légitime du doute, n’obère en rien son espérance. Une forme de relèvement à la fois personnel et universel qu’elle appelle de ses vœux, collectivement, par la voie du sacré.
Louvoyant de la sorte entre témoignage intime et pamphlet sagace sur le désenchantement sociétal, Sonia Mabrouk livre un récit séduisant sur cette reconquête du sacré dont sa résolution à lutter contre la civilisation du néant n’a d’égale que son plaidoyer à faire sourdre un vent d’intériorité apte à raviver chacune de nos destinées…
Chroniqueur : Michel Bolassell
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