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Robin Josserand,  Prélude à son absence, Mercure de France, 17/08/2023, 1 vol. (167 p.), 17,50€.

S’agit-il d’une simple anecdote réductible à ceci : un pédéraste s’amourache d’un jeune garçon qui le berne ? Le pédéraste se désole, enrage, s’enfonce. Ironique et souverain, l’enfant se croit fort. Il est subtil et cruel par indifférence. Voilà des données simples. Le jeu est banal et facile. Cette passion malheureuse prit vite une allure de catastrophe. Avant que de connaître ce gosse malade j’avais voulu me supprimer : c’est lui, ce moribond précieux et féroce qui deviendra ma mort loupée.

Ces quelques lignes citées, l’air de rien, à la presque fin du roman de Robin Josserand Prélude à son absence, pourrait en être, à peu de détails près, le résumé parfait, affiché en quatrième de couverture. La paternité de cette citation revient pourtant à l’immense auteur pléiadisé, Jean Genêt, invité permanent de ce premier roman qu’il semble parrainer depuis son au-delà. Comme son glorieux aîné, Robin Josserand décrit avec crudité et fougue les amours homosexuelles, les corps, les allures, les peaux de ces mauvais garçons qui génèrent autour d’eux, parfois à leur insu, le désir de ceux qui les croisent.
Il nous conte ici l’histoire d’un amour perdu d’avance entre un narrateur bibliothécaire, aspirant auteur dont on ignorera toujours le prénom, et Sven, jeune SDF errant, fantôme des rues à la beauté incendiaire, à la violence sous-jacente et au parcours obscur. Il le fait en s’exonérant des codes littéraires en matière amoureuse qui décrivent généralement la montée d’un désir commun, l’amour partagé puis la décrépitude et la chute. Dans cette traditionnelle arche narrative en escalier, les amants grimpent au sommet, vivent leur passion puis redescendent comme ils le peuvent, ensemble ou séparément. Ici, le narrateur gravit seul les marches de son désir, dans une douleur intense et anticipée, vierge des crédulités et autres espérances qui bercent les débuts amoureux, n’envisageant, dès l’éblouissement de la rencontre, qu’une issue forcément fatale voire dramatique. En cela, il n’est pas “berné” comme la citation de Genêt pourrait le laisser entendre, sachant d’emblée être celui qui va aimer sans être aimé en retour, celui qui va donner, accueillir, rémunérer un marginal ingrat et parfois violent sans jamais satisfaire son brûlant désir ni son amour.
En composant un personnage hoellebecquien de narrateur sentimentalement, professionnellement et socialement désabusé, Robin Josserand qui exerce, comme son personnage, la profession de bibliothécaire- aspirant auteur, prend le risque d’un jeu de miroirs qui condamne bien des premiers romans à n’être que de pâles autofictions déguisées. Prélude à son absence est pourtant un premier roman très réussi et il le doit en grande partie à la plume poétique et maîtrisée de son auteur, à ses phrases brèves, percutantes et dont on sent que chaque mot a été pesé au trébuchet d’un perfectionnisme bluffant pour un primo romancier. Il se livre également à une vertigineuse mise en abîme de l’acte d’écrire, prêtant à son héros les vicissitudes de la création littéraire, page blanche, recherche du mot juste, peur de sombrer dans le cliché (notamment en ce qui concerne les “passages obligés” de la littérature homosexuelle).
Un roman et un auteur à découvrir sans tarder !

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Chroniqueur : Alain Llense

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