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« Il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des Saints », écrivait Léon Bloy dans « La femme pauvre », et nul mieux que son ami Georges Bernanos ne pouvait étayer ce propos qu’en rédigeant ce livret sur le fondateur des Prêcheurs.

Longtemps proche du dominicain R.L Bruckberger, l’auteur du célèbre « Journal d’un curé de campagne », avait été, tôt, marqué par la figure de Saint Dominique, mais son besoin d’écrire à son sujet dépassait les contours de la simple hagiographie.
Si dans la première partie de l’ouvrage, Bernanos brosse un peu les contours de sa filiation espagnole, celle de sa mère notamment, c’est sur la personne du saint en devenir qu’il entend s’attarder. En liminaire du récit, il écrit :

Ce jeune chanoine aux cheveux blonds, à la voix forte et douce, qui répond aux saluts avec une sorte d’urbanité tendre que ses fils ont tant aimée, c’est déjà l’ordre des Prêcheurs, non point formé par un calcul abstrait, mais dans la plénière effusion de la vie. Ici, tout est pur, tout est neuf, tout s’efforce vers le haut, comme l’universelle ascension de l’aube.

Une façon de qualifier sa prédestination divine qui transcende les jalons de son existence. Car loin « d’un feu d’artifice brillant et éphémère, Dominique est tout entier contenu dans sa semence cachée et profonde », tel que l’indique frère Timoner, actuel Maître général des Prêcheurs.
Point de plan de bataille chez lui, ni d’objectif à vue humaine. De la province d’Osma en Espagne jusqu’à l’Occitanie rebelle puis en Italie, le premier des Prêcheurs n’a rien du visionnaire qui plierait sa volonté aux exigences d’un projet. Il se laisse simplement conduire par les circonstances dans lesquelles il pressent le désir de Dieu.
Qu’importent les intrigues des clercs ou les rigueurs des Parfaits Cathares qu’il confond sur l’unique autel des évangiles, lui qui ne parle à longueur de jour  » que de Dieu et avec Dieu. » Chez cet être vivifié par l’Esprit, rien ne peut être ébranlé. « Qu’opposer d’ailleurs de solide et quel piège pouvoir tendre à celui qui, à chaque seconde, est prêt à tout donner ?  » interroge Bernanos. Car Dominique donne tout, en effet.
Du monastère de Prouilhe où il a installé les neuf premières moniales, (ex-femmes cathares converties), jusqu’à Toulouse, via Fanjeaux, Carcassonne et Rome, il ne va cesser une prédication itinérante pour prêcher d’exemple à ses frères. Avec toujours le même objectif, faire accéder au trésor qu’est le Christ par la parole.
Et cette folle audace va porter ses fruits au-delà de toute espérance. En février 1220, une fois tenu le premier chapitre général de l’ordre, il peut compter ses monastères épars, déjà puissants, dirigés par d’illustres prieurs qui instruiront les premières universités du monde. Après Toulouse et Ségovie, les couvents de Reims, Orléans, Poitiers, Lyon et Metz vont éclore comme autant de pierres d’angle sur le chemin.

Son vœu d’évangélisation exaucé, il regagne à bout de forces le couvent de Bologne pour son agonie. Étendu dans sa chape blanche, on le voit apaisé. Ni le souvenir de ces incessantes pérégrinations, pas davantage que ses prédications ou ses miracles ne détournent un instant son cœur. Seul redoute-t-il, qu’après sa mort, ses fils ne se laissent entraîner à une vie trop confortable et introduisent l’usage des possessions temporelles dans son ordre.
Vécue ainsi dans un torrent d’amour et de vérité, « chaque vie de Saint est comme une nouvelle floraison », souligne Georges Bernanos, « l’effusion dans un monde rendu par l’hérédité esclave du péché, d’une miraculeuse, d’une édénique ingénuité… »

Michel BOLASELL
articles@marenostrum.pm

Bernanos, Georges, « Saint Dominique », préface et d’une postface de deux dominicains contemporains : respectivement Gérard Timoner III, Maître de l’Ordre, et Nicolas Tixier, Provincial de France. Le Cerf, « Littérature », 01/07/2021, 1 vol. (136 p.), 12€.

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