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Souvenirs d’affiche (par un historien), « Placards & Libelles 1 »- Emmanuel de Waresquiel

Avec le désir de diffuser des idées dans le débat contemporain, les Éditions du Cerf renouent avec la tradition de l’imprimé depuis la Renaissance, et lance une nouvelle collection bimensuelle « Placards & Libelles ». Le premier numéro, confié à Emmanuel de Waresquiel, brosse à travers ses propres souvenirs un panorama historique sur ce moyen de communication.

On se représente mal aujourd’hui l’incroyable nouveauté qu’a constitué l’invention de l’imprimerie et son importance dans la diffusion des idées. Si l’on songe aux livres, précieux et soignés, il ne faut pas oublier la multiplication des feuilles, des feuillets, des affiches. À la faveur de l’imprimerie, la critique de Rome et l’émergence des courants protestants se diffusent largement. La nuit du 17 au 18 octobre, l’affaire dite des placards vient scandaliser, effrayer même, la cour de François Ier. Que sont ces placards ? Des affiches au texte dense et serré, anticatholique, placardées jusque sur la porte des appartements du roi au château d’Amboise. Une tradition politique prenait là son pli, jusqu’au XVIIIe siècle, jusqu’aux affiches politiques ou publicitaires du XXe, comme l’historien Emmanuel de Waresquiel en retrace le parcours dans ce premier « Placards & Libelles ».

Tout est fait pour nous séduire, pour ravir l’œil du lecteur, de la trop rare esperluette à la typographie Granjon, dérivée de la très renaissante Garamond. La tradition, aux Éditions du Cerf, remonte à la fondation en 1928 de la revue « La Vie intellectuelle », dans laquelle signait – entre autres noms – François Mauriac. Reprendre les méthodes du passé mais pour mieux regarder l’avenir. Le texte d’Emmanuel de Waresquiel affirme clairement cette idée maîtresse de la collection. L’exploration de l’affiche à travers le temps dit quelque chose de notre propre époque : « J’aime les affiches publicitaires quand elles ne s’appelaient encore que réclames ». Et l’historien de se souvenir de celles qui ont jalonné les paysages urbains de son enfance, le savon Lechat, les « Apéritifs Suze, l’amie de l’estomac »,  » Dop Dop Dop, adoptez le shampoing Dop »… On voudrait passer à côté de ces publicités presque sans les voir et elles nous attrapent presque malgré nous. De Waresquiel a raison d’affirmer que les affiches nous parlent : « Elles sont sans doute la forme d’expression la plus libre qui existe parce qu’on les rencontre n’importe où ».

De la propagande soviétique « le capitalisme voilà l’ennemi » – ce qui n’est pas sans rappeler un certain discours d’un candidat heureux à la présidence de la République – aux slogans de mai 1968 (« La chienlit, c’est lui »), l’affiche promeut, diffuse des idées, des visions politiques du monde. C’était le cas pour les placards pendant la Fronde (1648-1652), où des écrits séditieux s’affichaient orgueilleusement sur les murs, confondant avec le libelle, style volontiers diffamatoire dans lequel le futur cardinal de Retz excellait. Mais « ces placards avaient beaucoup plus d’effets que les libelles. Ils attiraient par leurs gros titres alléchants et provocateurs ». Sans compter le plaisir des gravures grossières qu’ils étalaient à la vue de tous ! Évidemment, à l’approche de la Révolution, « Paris ne se couvre pas de fleurs mais de caricatures et d’affiches ».

Alors « où sont nos affiches anciennes ? », s’interroge l’historien ? Les affiches électorales disparaîtront-elles un jour, remplacées par de la publicité sur smartphone et un vote électronique ? Emmanuel de Waresquiel rappelle malicieusement les profanations des « Défense d’afficher » : « Voilà belle lurette que les lettres noires et liberticides de la loi du 29 juillet 1881 ont été recouvertes d’affiches ». Cette loi pourtant interdisait l’affichage sauvage, qui fleurit hélas inopportunément en cette année de campagne présidentielle, le plus souvent par des candidats qu’on aimerait mieux ne pas voir. S’il était interdit d’afficher sur ces murs-là, c’était surtout qu’il était possible d’afficher ailleurs. Aujourd’hui, il reste surtout des publicités « de bord de route qui […] annoncent le grand désordre des entrées de ville », quand elles ne couvrent pas les façades de nos monuments historiques. Sommes-nous purement des consommateurs d’images appelant à consommer davantage ? Il reste, c’est l’ambition de la collection, à reprendre les écrits, les placards, les libelles, qui font réfléchir, qui agitent les idées. Ces affiches qui parlent aux citoyens.

Marc DECOUDUN
articles@marenostrum.pm

Waresquiel, Emmanuel de, « Souvenirs d’affiche (par un historien) », Le Cerf », « Placards & libelles, n° 1 », 07/10/2021, 1 feuille, 2,50€

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