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Séduisante idée que celle suggérée par les Éditions du Cerf d’inviter un de ses auteurs à s’expliciter par une vidéo sur la raison d’être d’un ouvrage. Car, tout autant qu’exprimer le sens du titre de « Tertullien et moi » – à l’image de ce que Lucien Compagnon et Roland Barthes l’ont, jadis, fait avec « Roland et moi » ou « Proust et moi »- Stéphanie É. Binder dévoile à cette occasion, les divers paramètres ayant concouru à la rédaction de son essai. En commençant par une analyse des plus affinées, voire psychanalytique, de son travail de chercheuse.
Car la démarche universitaire actuelle, faite de compromis et d’uniformité, n’est guère attrayante à ses yeux.

Tout est devenu relatif. Alors que l’on s’efforce de faire les choses autrement, la manière de créer elle-même subit inévitablement les tendances en vogue. Une nouvelle mode est façonnée, se diffuse, et ses adeptes la suivent. L’originalité redevient ainsi un conformisme, écrit-elle.

Soucieuse, quitte à se tromper, d’agir différemment, Stéphanie É. Binder va donc aborder sa pensée sans retenue. Une tâche pour le moins téméraire que celle d’une intellectuelle d’université israélienne soucieuse de décrypter, sinon de se confesser, à travers le portrait de Tertullien, premier auteur chrétien à écrire en latin.
Comment aborder autrement, en effet, cette unité de réflexion entre deux êtres, fut-ce à deux millénaires d’intervalle ? « Depuis quinze ans Tertullien me sert de prétexte. Je me cache en coulisses, derrière lui, sa vie, son œuvre, pour penser ce qui m’interpelle de nos jours » explique-t-elle. C’est qu’il y a entre eux deux, bien des points communs.
D’abord converti au judaïsme, Tertullien s’ouvrit vite à l’attrait du christianisme, « une religion nouvelle offrant le même substrat moral que l’ancienne, mais avec une dimension d’ouverture et de liberté autrement attirante », souligne-t-il.
À son exemple, la chercheuse juive suivra une voie similaire, délaissant la Yashiva parisienne pour suivre avec le même intérêt les cours d’une aumônerie chrétienne. « Un autre monde, une autre façon de vivre qui m’impressionnaient et surtout attisaient ma curiosité. J’avais envie d’en savoir plus », commente-t-elle.
Preuve qu’à l’aune de leurs découvertes respectives, ces deux êtres-là étaient décidément faits pour s’entendre, voire se rencontrer par la pensée. Si cela est manifeste dans leur commune approche du concept de la foi ou de leur résistance face au pouvoir colonisateur romain, c’est plus sensible encore pour ce qui touche à l’ouverture aux autres formes de croyance, prémisses du dialogue interreligieux. En témoigne ce plaidoyer contre l’intolérance spirituelle qui préfigure les conclusions de Nostra Aetate, lors du dernier concile.

C’est une espèce d’impiété, dit Tertullien, d’ôter en matière de religion la liberté aux hommes, d’empêcher qu’ils ne fassent choix d’une divinité, de ne pas leur laisser adorer celle qu’ils veulent, et de les forcer à adorer celle qu’ils ne veulent pas. Aucun Dieu, aucun homme même ne voudrait qu’on le servît malgré soi… Tous les hommes ont un droit naturel de servir la Divinité qui leur plaît, et la religion de l’un ne fait ni bien ni mal à l’autre. Il ne convient pas non plus à la religion de contraindre à embrasser l’une plutôt que l’autre, parce que toute religion doit être embrassée non par force, mais volontairement.

Un point de vue partagé par Stéphanie É. Binder, laquelle en puisant aux sources de la pensée de cet Africain chrétien de Carthage nous invite aussi bien à renouveler notre relation à l’Antiquité qu’à mobiliser la sagesse des Anciens dans la résolution des problèmes contemporains.
Un brillant et judicieux ouvrage.

Chercheuse à l’université Bar-Ilan, autrice de l’étude majeure Tertullian, On Idolatry and Mishnah Avodah Zarah, Stéphanie É. Binder compte parmi les spécialistes internationalement reconnus des relations entre Juifs, Grecs et Romains dans le monde antique.

Binder, Stéphanie É., Tertullien et moi, Le Cerf, 27/01/2022, 1 vol. (178 p.), 20 €.

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Michel Bollasell

Vice-président de Mare Nostrum

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