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Macha Ravine, Tout voir et ne rien oublier : le témoignage retrouvé d’une résistante juive à Auschwitz, édition établie par Dimitri Manessis – postface de Denise Ravine, Le Rocher, 18/01/2023, 1 vol. (207 p.-8 pl.), 18,90€

La consigne du camp – nous l’avions compris depuis longtemps – était de se taire pour pouvoir un jour, un jour comme aujourd’hui, porter témoignage.

C’est ainsi que, par l’intermédiaire de l’historien Dimitri Manessis et de Denise Sevastos, fille de Zysla Wajser, Macha Ravine de son nom de résistante, nous parvient un témoignage factuel sur tout le processus de déportation et d’extermination. Les événements s’échelonnent de l’entrée en résistance de l’autrice puis de son arrestation en 1943 à l’univers concentrationnaire d’Auschwitz-Birkenau, jusqu’à sa libération en 1945. Après la courte remise en contexte historique et familial de l’historien, le lecteur accède à ce qui ressemble à un journal.

Macha Ravine, originaire de Pologne et militante communiste immigrée à Paris depuis le début des années trente, nous raconte sa vie quotidienne et comment, afin de poursuivre son action clandestine dans la capitale, elle a dû se séparer de son époux, mettre sa fille à l’abri loin de Paris et trouver un logement de fortune où se cacher. Cette partie du témoignage permet de découvrir l’action du parti communiste en France et les rouages de la résistance parisienne en même temps que la vie quotidienne sous l’occupation avec ses craintes, ses espoirs, ses traîtres et les plans mis en œuvre pour remédier à une situation intolérable.

Il est évident que Macha Ravine a pris des notes à différentes périodes de sa vie. Il est tout aussi évident qu’elle n’a pu les garder avec elle tout au long de sa détention dans les différents camps traversés, et qu’à certains moments, elle n’était pas en position d’écrire. Et c’est ce qui fait la particularité de ce rapport remanié des années après son retour. D’un côté, le lecteur a l’impression de suivre l’autrice pas à pas et de subir l’évolution des événements avec elle, et de l’autre, le récit se prend parfois à nous révéler le destin de personnages rencontrés, ce qu’il est advenu d’eux après la guerre, si Ravine les a à nouveau croisés et dans quelles circonstances. Certaines histoires sont contées en prenant en compte la poursuite de ce qui a commencé pendant la guerre jusqu’au moment de leur rédaction. Il n’est pas question de créer artificiellement une tension dramatique ; le rapport est historique et non romancé. En outre, le lecteur sait bien, depuis l’introduction, que l’autrice a survécu pour témoigner. Toutefois, ce jeu, cette oscillation, entre les passages écrits sans prendre, en apparence, aucun recul par rapport aux faits énoncés et ceux qui nous dévoilent les conséquences de ce que la narration décrit, ont un attrait incontestablement littéraire.

Macha Ravine revient sur toutes les étapes et tous les éléments de sa déportation, sur les moyens qu’elle met en place pour sa survie quotidienne, sur les lieux par lesquels elle est passée, les personnes qu’elle a rencontrées, les retrouvailles incongrues, les hasards récurrents qui sauvent la vie dans les camps. Elle nous parle des différents caractères et réactions face à l’adversité, des groupes de diverses nationalités et de ce qui les caractérisent. Elle commente tout ce qui se passe, tout ce qui est exigé, tout ce qui est vécu. Le lecteur est informé des menus détails de la déshumanisation et de l’industrie d’extermination de « Pitchipoi », Auschwitz-Birkenau. Rien n’est trop cru, rien ne lui est épargné. L’autrice passe le moindre fait ou objet ou situation ou événement au crible, rien ne lui échappe, rien n’est omis : elle voit tout, elle n’oublie rien.

À un certain point de son récit, Macha Ravine travaille à l’infirmerie du camp, ce qui lui permet d’échapper une énième fois à la mort. C’est surtout un endroit stratégique pour observer le déroulement des opérations dans le camp. De là, il est possible d’obtenir des nouvelles provenant de diverses parties du camp, d’autres camps, de connaissances anciennes ou nouvellement nouées au gré des déplacements de populations, de l’évolution de la guerre, de la machinerie infernale des convois qui arrivent et qui repartent, des méthodes de mises à mort. Mais c’est aussi un lieu privilégié pour mettre en place un réseau d’entraide afin de tenter d’alléger les souffrances des déportés. Macha Ravine prend ainsi le temps de raconter également les actes de bravoure de certains, elle trace le portrait d’êtres remarquables et des risques qu’ils prennent pour les autres. Elle parle de tentatives d’évasion, de révoltes et de saccage et des efforts déployés pour essayer de ralentir ou d’enrayer la machine à tuer. Si le mot « sélection » est l’un des plus courants dans ce récit, sélections de ceux qu’il faut envoyer à la mort, un autre mot résonne : « organisation ». « Organiser » signifie le fait de se débrouiller par tous les moyens pour obtenir quelque chose qui peut rendre la survie plus supportable. Chacun organise pour soi, certains organisent aussi pour les autres. Et puis, le camp est libéré et là, il faut s’organiser pour gérer l’après.

La fille de l’autrice conclut le témoignage en rapportant les conséquences de la déportation sur ses relations avec sa mère et comment, une fois adulte et orpheline, et après avoir pris connaissance de ce texte, elle parvient à porter de nouveaux regards sur le passé.

Image de Chroniqueuse : Stéphanie Binder

Chroniqueuse : Stéphanie Binder

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