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L’Union européenne a besoin de la Turquie plus que la Turquie a besoin de l’Union européenne. C’est par ces propos de Recep Tayyip Erdoğan, que commence l’ouvrage de Nicolas Monceau Turquie : un dilemme européen ? Le président turc met en lumière les rapports complexes et ambigus entre son pays et les États de l’U.E quant à l’adhésion de la Turquie. Dans cet essai, l’auteur, spécialiste en science politique, interroge les différents blocages à cet élargissement du point de vue des vingt-sept. Au-delà des problèmes liés au non-respect des valeurs communautaires en Turquie, son adhésion nourrit d’intenses débats entre les États membres. En 1987, la Turquie a déposé sa candidature officielle, mais les négociations ont véritablement débuté en 2005. Depuis, au gré des crises politiques, économiques, migratoires, l’État turc s’est plus ou moins rapproché de l’intégration à l’espace de coopération régionale.

Les nombreux obstacles à l'adhésion

Nicolas Monceau revient de manière synthétique mais complète sur les limites fréquemment évoquées par les partenaires européens pour bloquer les négociations. Dans plusieurs domaines en effet, la Turquie apparaît comme un mauvais élève. C’est notamment le cas dans sa politique étrangère et ses relations avec des États voisins – ce qui devient particulièrement problématique quand ces derniers sont membres de l’U.E à l’image de Chypre. Depuis 1983, une partie de l’île a fait sécession, soutenue par la Turquie, tandis qu’en 2004, la République de Chypre a adhéré à l’U.E. Toutes les négociations de réunification de l’île méditerranéenne ont à ce jour échoué. La politique intérieure influence aussi l’avancée ou l’arrêt des négociations pour la Turquie. La question de la reconnaissance du génocide arménien de 1915 est à ce titre emblématique. Pourtant, l’ouvrage nous apprend que ce n’est pas une condition sine qua non à l’ouverture des négociations en vertu des critères de Copenhague (1993). Mais depuis, des États tels que la France ou l’Allemagne ont reconnu le génocide, refroidissant ainsi les relations avec Ankara. De plus, en 2015, les tensions avec le PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) ont repris au moment des élections législatives organisées dans le pays. Toutefois, si l’U.E condamne fermement les procédés anti-démocratiques engagés par l’État turc contre les Kurdes, elle a inscrit depuis 2002 le PKK sur la liste des organisations terroristes. À travers cet exemple, toute l’ambiguïté des rapports vis-à-vis de la Turquie est mise en lumière. Enfin, le dernier point de crispation souvent évoqué est celui du non-respect des droits humains par le gouvernement turc. L’auteur revient sur la violente répression qui a suivi les manifestations de la place Gezi en 2013, ainsi que sur le tour de vis amorcé à la suite de la tentative de coup d’État en 2016 par les membres kémalistes de l’armée turque. À chaque fois, des emprisonnements massifs et arbitraires ont été perpétrés afin de museler toute voix dissidente. L’écrivain et journaliste Ahmet Altan, dont nous avons eu le plaisir de chroniquer son magistral Madame Hayat l’année passée, en a fait les frais jusqu’à très récemment.

Une question clivante dans l'Union européenne

Au sein même de l’U.E, les États membres oscillent entre soutien et réserve quant à l’adhésion de la Turquie. Ces nombreux débats questionnent « l’identité européenne ». Nicolas Monceau prend appui sur l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni et montre leurs évolutions sur la question des négociations et surtout l’absence de consensus. Le Royaume-Uni a ainsi soutenu pendant longtemps la candidature turque, mais dans le contexte du Brexit, certains hommes politiques, comme Nigel Farage, se sont opposés à ce processus. L’heure n’est plus en Europe aux élargissements nombreux des années 2000. Depuis 2017, la France propose l’alternative d’un « partenariat » entre l’UE et Ankara. Il est évident que la Turquie, par sa position géostratégique apparaît comme un partenaire incontournable dans la crise migratoire. Le pays constitue en effet un État de transit pour les flux en direction de l’espace Schengen. Cet état de fait suscite d’ailleurs de nombreux débats. En novembre 2015, le Conseil européen adopte un plan d’action entre l’U.E et la Turquie sur la question migratoire dans le contexte du conflit syrien. Pour certains observateurs politiques, Ankara utiliserait l’accord UE-Turquie sur les réfugiés (mars 2016) pour accélérer les négociations. Nicolas Monceau résume ainsi les grands enjeux de ce débat : « Aujourd’hui, les Européens demeurent plus que jamais confrontés à un dilemme entre la nécessité de coopérer avec la Turquie pour gérer la crise migratoire et lutter contre le terrorisme international tout en dénonçant ses dérives autoritaires et son interventionnisme régional. »
Les paroles d’Erdoğan que nous citions en exergue pourraient à terme se traduire par un rapprochement avec l’Asie et son principal acteur de poids qu’est devenue la Chine sur la scène internationale.

Monceau, Nicolas, Turquie : un dilemme européen ? Ed. de l’Aube & Fondation Jean-Jaurès », 25/11/2021, 1 vol. (136 p.), 17,90€.

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