Collectif, 7 Octobre – Manifeste contre l’effacement d’un crime, David Reinharc éditeur, 285 p., 20 €
Un même événement peut susciter des réactions différentes, voire opposées. Ainsi le pogrom du 7 octobre 2023 a-t-il provoqué l’horreur des individus élevés dans le respect d’une morale établissant une claire différence entre le bien et le mal (pour le dire vite, les valeurs de la gauche) et, à l’inverse, la jubilation chez ceux pour qui la différence s’établit entre le licite et l’illicite selon un modèle établi au VIIe siècle (les valeurs de l’extrême-droite pour le résumer aussi vite).
Sur le plan de l’exégèse, ce même événement a déjà engendré de nombreux ouvrages. Nous avions parlé ici du témoignage choc de Jean-Pierre Lledo.
Voici une tout autre approche, moins tripale, mais pas moins prenante, écrite par un collectif avec les contributions de :
Gérard Larcher, Haïm Korsia, Éliette Abécassis, Yonathan Arfi, Bernard Attali, Élie Barnavi, Georges Bensoussan, Guy Bensoussan, Béatrice Berlowitz, Astrid von Busekist, Nora Bussigny, Hassen Chalghoumi, Denis Charbit, Élie Chouraqui, Éric Ciotti, Judith Cohen Solal, Patrick Desbois, Julien Dray, Stéphane Encel, Luc Ferry, Alain Finkielkraut, Élisabeth de Fontenay, Renée Fregosi, Ariel Goldmann, Gilles-William Goldnadel, Martine Gozlan, Yana Grinshpun, Yaël Hajdenberg-Scemama, Jonathan Hayoun, François Heilbronn, Anne Hidalgo, Michel Houellebecq, Marcela Iacub, Eva Illouz, Myriam Illouz, Raphaël Jerusalmy, Aurélie Julia, Rachel Khan, Arno Klarsfeld, Serge Klarsfeld, Marc Knobel, Guy Konopnicki, Barbara Lefebvre, Bernard-Henri Lévy, Nathanaël Majster, Éric Marty, Joël Mergui, Jean-Claude Milner, Jean-Jacques Moscovitz, Éric Naulleau, Emmanuel Navon, Michel Onfray, Mélanie Pauli-Geysse, Richard Prasquier, Michaël Prazan, Robert Redeker, Iannis Roder, Boualem Sansal, Georges-Elia Sarfati, Dominique Schnapper, Jean-Éric Schoettl, Abnousse Shalmani, Daniel Sibony, Mario Stasi, Jean Szlamowicz, Pierre-André Taguieff, Karen Taïeb, Frank Tapiro, Jacques Tarnero, Sylvain Tesson, Shmuel Trigano, Alexandre del Valle, Manuel Valls, Michel Gad Wolkowicz, Sonya Zadig, Yves Charles Zarka, François Zimeray.
Plus dense qu’un livre, plus explicite qu’un monument aux morts
Le 7 octobre 2023, un pogrom a rassemblé 4 000 prédateurs armés et 3 000 prédateurs civils, partis pour exterminer autant qu’ils le pouvaient de citoyens juifs d’Israël, avec une barbarie inconcevable pour un esprit européen.
Pour la petite histoire, les victimes vivaient dans des kibboutzim à proximité de la Bande de Gaza, non pas parce qu’ils aimaient le danger, mais parce que, militants de gauche pour la paix, ils s’étaient engagés à rapprocher les deux camps ennemis. Leur objectif était donc d’être au plus proche de ceux qu’ils voulaient aider en participant à diverses actions.
Les centaines de jeunes qui ont, comme eux, été tués, torturés, démembrés, violés et pire, assistaient à un festival de musique POUR LA PAIX.
Le 7 octobre 2024, un livre a rassemblé 80 contributeurs pour qu’on n’oublie ni les noms des victimes, ni leur humanité singulière, car les réduire à leur seule mort eût été les faire mourir deux fois.
L’initiative est partie de Guy Bensoussan, président de la communauté juive de Lille, une présidence qui implique des devoirs, mais aucun droit…
Deux maîtres d’ouvrage : David Reinhac, l’éditeur du livre, et Sarah Fainberg, une universitaire qui a plusieurs cordes à son art.
Les contributeurs sont tous de grands noms : penseurs juifs, chrétiens, musulmans ou athées, spécialistes du fascisme et de la barbarie, philosophes du bien et du mal (quelles que soient les étiquettes qui les désignent), étudiants du fait antisémite de tous âges et de toutes origines, politiques venus par conviction, par civisme, par indignation ou par opportunisme, et puis des professeurs, des philosophes et des psychanalystes, des médecins et des avocats, des écrivains, des journalistes et des sociologues, mais aucun raton laveur.
Un « monument de papier »
L’expression est de Sarah Fainberg. En fait d’étiquettes, elle a surtout des diplômes (Normale sup, Sciences-Po, elle est aussi directrice de recherches à l’université de Tel Aviv) et des spécialités, en particulier celle des questions de défense et de sécurité, mais aussi de l’antisémitisme en général, et soviétique post-stalinien en particulier.
Comme la plupart des gens nés après la deuxième guerre mondiale, elle a cru que « plus jamais ça » voulait dire « plus jamais ça. »
En réalité, cela voulait dire « exactement la même chose, mais sous un autre nom ». Il n’est plus politiquement correct de dire qu’on hait les juifs individuels, mais il est parfaitement admis, voire fièrement revendiqué de haïr le Juif collectif, l’État juif, qu’on affuble de tous les défauts que l’on reprochait aux Israélites. On ne dit plus « antisémite », on dit « antisioniste », comme on ne dit plus « aveugle » mais « non-voyant », ce qui désigne exactement les mêmes personnes sous des vocables différents.
La haine des Juifs se traduit toujours par le meurtre des Juifs : « Le 7 octobre 2023, sur le sol de la petite nation juive, dans le sable duquel nos grands-parents ont trouvé le soulagement d’avoir enfin une terre pour mourir, et donc pour exister, les Juifs ont été précipités, quatre-vingts ans après, dans l’expérience absolue de la Shoah, lors de laquelle la mort elle-même, en tant qu’événement pur, a failli mourir. » (David Reinharc)
Et Sarah Fainberg d’ajouter : « Outils de prédilection de la guerre informationnelle menée par le Hamas, les caméras embarquées des commandos palestiniens captent en direct les scènes d’une extermination d’un nouvel âge – le « pogrom TikTok » devenant la marque de fabrique de ce 7-Octobre. Un pogrom-effraction-et-effroi viole la sacralité de la terre-refuge d’un peuple de survivants. »
Le négationnisme a remplacé l’antisémitisme après 1945. Comme tout va plus vite au XXIe siècle qu’au précédent, le négationnisme du 7 octobre n’a pas attendu la mort des témoins directs pour s’épanouir. Il s’est développé en parallèle avec le crime qu’il niait : « Il s’agit pour la première fois, d’un crime contre l’humanité contemporaine de sa négation, une négation aussi insidieuse que perverse, en ce qu’elle justifie subrepticement les massacres en les contextualisant », expliquent les promoteurs du livre. C’est à ce négationnisme que s’oppose leur monument de papier.
En quoi ce livre est-il différent de tous les autres livres ?
L’avion a remplacé la machine à vapeur et l’ordinateur l’imprimerie, mais le Manifeste contre l’effacement d’un crime relève autant de l’artisanat que de la série industrielle : chaque exemplaire du livre imprimé porte en couverture le nom et la biographie d’une des 1 160 victimes du pogrom.
Le sommaire du livre est déjà, en soi, un manifeste : 1. Manifeste contre l’effacement d’un crime, 2. Un crime contre l’humanité à visée génocidaire, 3. Anatomie du mal, 4. La France après le 7-octobre, 5. Géopolitique de l’antisémitisme, 6. Vues sur et depuis Israël.
Quelques titres d’articles, non pas au hasard, mais par choix subjectif : « L’antisémitisme, c’est aussi la haine de la nation française et de ses valeurs » (Gérard Larcher), « L’obligation morale d’espérer » (Guy Bensoussan), « Logique génocidaire du Hamas » (Luc Ferry), « Les violences sexuelles, nouvelle arme de terreur islamiste » (Barbara Lefebvre), « Le djihadisme et ses images » (Éric Marty), « Un pogrom moderne qui raconte une triple histoire » (Ariel Goldmann), « Face au déshumain » (Michel Gad Wolkowicz), « Nommer l’innommable » (Sonya Zadig), « L’humanité des Juifs à l’épreuve de l’humanitarisme » (Shmuel Trigano), « Les raisons d’un renversement » (Gilles-William Goldnadel), « Un négationnisme d’atmosphère » (Martine Gozlan), « La cause palestinienne instrumentalisée » (Hassen Chalghoumi), « Cauchemars » (Jacques Tarnero), « La trahison de la gauche » (Marcela Iacub),
« Antisémitisme : vieilles méthodes, nouveaux discours » (Judith Cohen Solal et Jonathan Hayoun), « Une coalition soudée par la haine des juifs » (Arno Klarsfeld), « Antiracisme wokiste et islamo-palestinisme : Butler & Co face au méga-pogrom du 7-Octobre » (Pierre-André Taguieff), « Légitimation de la judéophobie exterminatrice sous couvert de défense des opprimés », (Alexandre Del Valle), « La défaite morale du monde arabo-musulman » (Abnousse Shalmani), « Le huitième axiome de la haine éternelle » (Boualem Sansal), « La peste émotionnelle » (Georges Bensoussan), « Les meurtres contre les juifs commis au nom de l’islam » (Père Patrick Desbois), « L’antisémitisme du sud global » (Renée Fregosi), « Entre nazisme et Hutu power » (Iannis Roder), « Vers un monde qui veut ne rien savoir des Juifs » (Jean-Claude Milner), « Plus que jamais Israël est nécessaire » (Michel Houellebecq)…
Quelques citations
« Ce choc civilisationnel annoncé par Samuel Huntington prend ici tout son sens et place Israël à l’avant-poste, seul face au monde musulman. Soutenir Israël est un devoir éthique puisqu’il est la pointe avancée du conflit… » (Sonya Zadig)
« Le vaste soutien propalestinien est politique, pas social. Il n’y a pas de rue arabe propalestinienne en France. Des images de manifestations propalestiniennes, il y en a eu beaucoup, il y a eu peut-être deux manifestations par semaine depuis le 7 octobre. On voyait assez peu de jeunes de type maghrébin, assez peu de femmes voilées, et zéro Noir, vraiment aucun. Ça ne ressemblait pas vraiment au portrait typique de la jeunesse des banlieues. Par contre, ça ressemblait tout à fait aux gauchistes des beaux quartiers, ceux qu’on voit aussi dans les ZAD. » (Michel Houellebecq)
« Cela fait des milliers d’années que les Juifs essaient de cesser le feu, allumé contre eux par l’immense, la mystérieuse, l’immémoriale et universelle, la maudite haine du Juif, ce brasier qui couve dans certaines douves de l’âme humaine. Un de ces foyers du mal a été localisé géographiquement. Cesser le feu en l’éteignant, c’est précisément ce qu’Israël tente de faire. » (Sylvain Tesson)
« Aucune circonstance atténuante ne s’applique à des escadrons de la mort qui se filment eux-mêmes se jetant sur une rave party, assassinant deux cent soixante jeunes gens et en prenant d’autres en otage. … Les tueurs entrés, comme des loups, dans les villes israéliennes n’avaient eux-mêmes pas de raison et se moquaient bien de ce qu’avait pu dire ou faire tel ou tel gouvernement israélien. N’ayant plus, sur leur sol, depuis dix-huit ans, la moindre force d’occupation, ils n’avaient aucune revendication territoriale à faire valoir, aucun but de guerre à opposer. » (Bernard-Henri Lévy)
« …quitte à refuser tout héritage culturel, autant conserver soigneusement la très ancienne haine des Juifs et la faire passer pour une innovation dans la révolte extrême. » (Jean-Claude Milner)
« Il convient certes de constater que l’idéologie du Hamas n’est pas l’idéologie nazie, mais nous sommes néanmoins en présence de systèmes de croyances dans lesquels les Juifs occupent une place centrale. … {D}ans un même discours, Hitler mett{ait} en parallèle, poursuivant le même but, la juiverie financière internationale et le bolchevisme qu’il ne cessa de nommer judéo-bolchevisme. » (Iannis Roder)
« La lutte contre la « domination » mondiale de ces « super-Blancs » que seraient devenus les Juifs depuis qu’ils sont détenteurs d’un territoire national, permet en effet d’agréger des ressentiments divers et d’articuler des objectifs multiples. » (Renée Fregosi)
Nous sommes tous Charlie, que ça nous plaise ou non !
L’antisémitisme, comme sa manifestation apocalyptique du 7 octobre, ne concerne pas que les Juifs. « Après samedi vient dimanche », disent les djihadistes : après ceux qui vont à la synagogue le samedi, ils élimineront ceux qui vont à l’église le dimanche, puis tous ceux qui ne vont pas, le vendredi, à LEUR mosquée.
Il ne suffit pas de décider de ne plus lire le journal pour s’éviter les horreurs qui y sont racontées. Comme le disait Julien Freund, philosophe, sociologue et résistant français, « Vous pensez que vous désignez l’ennemi comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas, raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pourrez lui faire les plus belles protestations d’amitié. Du moment qu’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin. »
Chroniqueuse: Liliane Messika
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