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Blanches. La détresse de l’hôpital racontée de l’intérieur

Claire Vesin, Blanches, Manufacture de livre éditions, 01/02/2024, 297 pages, 18,90€.

Les urgences à l’hôpital, comment ne pas se sentir concernés ? Depuis la pandémie de la Covid 19 et bien avant même, la dégradation n’a fait qu’empirer.
Par-delà nos propres expériences, les images des journaux télévisés l’attestent à satiété. Mais pour en prendre pleinement conscience, fallait-il encore la donner à vivre, l’expliciter de l’intérieur comme Claire Vesin nous y invite avec la parution de Blanches.
Davantage qu’un essai ou qu’un reportage, le roman, on le sait, est souvent plus apte à exprimer un climat, à traduire une réalité. Et c’est parfaitement le cas de ce premier opus écrit par une autrice, médecin cardiologue de son état, qui nous restitue l’ordinaire d’un service d’urgences dans un hôpital public en crise.
Un milieu en déshérence et très éloigné des séries télévisées en vogue qui font des patriciens des as du diagnostic et des êtres bien dans leur peau. Dès le prologue, il est manifeste que Claire Vesin ne cherche pas à impressionner.

Au plus près de la réalité

S’il y est question d’un asile psychiatrique de la banlieue parisienne actuellement en travaux, la description qui s’en dégage entend préserver un volet positif. La vie telle qu’elle est donc, plutôt que le catastrophisme. Compte tenu de la situation existante dans le secteur de la santé, il eut été facile de pousser les curseurs du pathos pour racoler le ressenti du lecteur. Mais l’autrice ne versera jamais dans cette direction, préférant rester au plus près de la vérité de ses protagonistes qui vont parcourir le récit.
D’octobre 2013 à avril 2014, sur une période relativement courte mais riche en enseignements, la fiction va entremêler les destins de quatre personnages principaux évoluant au service des urgences d’un hôpital en décrépitude.
D’emblée, le ton est donné. Nous sommes à Villedeuil, une cité fictive de l’agglomération parisienne, avec son morose environnement. Les cinq tours vieillies de la bâtisse, la gare du RER à quinze minutes à pied et le café tout proche refuge de rejetés de la société.

En terrasse, toujours à la même table, se trouvaient les habitués. Œil flou, nez turgescent, voix traînante qui se perdait dans les méandres d’une argumentation dont l’objet était oublié en cours de route, ils tenaient leur rôle soir après soir. Dès dix-sept heures, ils prenaient place enquillant les consommations jusqu’à ce que le bruit du rideau métallique les éparpille comme des moineaux.

Une fiction parfaitement maîtrisée

C’est là, sitôt sa journée achevé qu’entre en lice le premier des acteurs du récit. Jean-Claude, chirurgien mélancolique et solitaire depuis le départ de sa femme et de son fils pour le Canada. Avec le second chapitre, ce sera le tour de Laetitia, infirmière, issue d’un milieu modeste, souvent désemparée dans ses fonctions.

Elle prit la température du nourrisson en lui caressant la main. 38°7. Elle se redressa, déposa le dossier dans le trieur et les invita à s’asseoir en précisant qu’il y avait plus de deux heures d’attente. Elle se sentait désolée, dans ces moments-là. Parfois, il fallait leur annoncer qu’ils allaient devoir patienter quatre heures avec leur bébé hurlant dans les bras, et c’était presque aussi difficile pour elle que pour eux. Elle avait peur de leur réaction, de la colère qu’elle recevait en retour.

Viendront ensuite, Aimée, médecin et Fabrice, urgentiste au SAMU, qui a du mal à accepter sa future paternité. Leurs portraits bien campés, et les contingences sociales définies, l’autrice va avoir l’art ensuite de les entremêler et de nous faire partager leurs joies et leurs échecs, leurs détresses et l’amour du métier à la fois tout en préservant un fragile équilibre.
 Un premier roman d’une maîtrise et d’une maturité exceptionnelle qui offre le double intérêt de mettre l’accent sur les carences de l’hôpital public et des mille et une difficultés humaines des personnels soignants.

De sorte que si Blanches séduit tout du long le lecteur, c’est qu’il parvient à être très romanesque et à nous tenir en haleine tout en mettant l’environnement hospitalier à distance. Le tour de force d’un récit immersif et poignant où le vécu d’un système de santé à bout de souffle n’a d’égal que l’étendue des complexités humaines de celles et ceux qui, contre vents et marées, s’efforcent de le servir.

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