Maurice Lugassy, L’Armée juive. Une résistance française. 16/05/2024, Éditions Privat. 320 pages.19,90 €
L’ouvrage de Maurice Lugassy se présente comme un travail de mémoire et comme une tentative de réhabilitation historique, en affirmant l’appartenance de l’Armée juive à la Résistance française. Au bénéfice d’une approche accessible grâce aux témoignages et récits concrets, il met en lumière une résistance longtemps invisibilisée. Ce livre est aussi une contribution indirecte à l’histoire et à la mémoire de la Shoah. L’auteur insiste sur le fait que l’Armée juive ne fut ni une structure marginale ni un simple groupe d’autodéfense communautaire, mais un réseau actif participant à des actions de sauvetage, de renseignement, de faux papiers et de combat armé. Il déconstruit l’idée selon laquelle les Juifs auraient été uniquement des victimes passives de l’Occupation, et réaffirme leur rôle d’acteurs à part entière de la lutte contre le nazisme. Il s’appuie notamment sur des témoignages, des archives associatives et des récits de résistants. Les parcours individuels, souvent tragiques, donnent chair à l’histoire et renforcent la portée mémorielle du propos.
L’histoire méconnue des résistants juifs en zone sud française
Le cœur de l’ouvrage retrace donc l’histoire de l’Armée juive, organisation clandestine créée pendant l’Occupation pour lutter contre le nazisme et le régime de Vichy. Active principalement en zone sud, l’Armée juive participe à des actions de sauvetage de Juifs persécutés, de fabrication de faux papiers, de passages clandestins vers l’Espagne et la Suisse, ainsi qu’à des actions armées. Après la Libération, elle devient l’Organisation juive de combat (OJC). L’engagement organisé de résistants juifs durant la Seconde Guerre mondiale a été pendant longtemps marginalisé. Cette part manquante est comblée aujourd’hui par Maurice Lugassy qui dans ce livre met en lumière la part prise par des membres de la communauté juive dans l’histoire de la Résistance. Il montre que l’Armée juive ne fut pas seulement un groupe d’autodéfense communautaire, mais un véritable mouvement résistant, structuré, efficace et intégré à la lutte contre l’occupant nazi. La panthéonisation de Missak Manouchian, de sa femme Mélinée et de ses camarades a mis en lumière l’engagement des étrangers, des Communistes, et des Juifs faisant partie du Groupe des MOI (Main d’œuvre étrangère). Certains d’entre eux avaient déjà participé à la Guerre d’Espagne en rejoignant les Brigades internationales. Dans cet opus, l’auteur insiste sur le courage, l’organisation et le sacrifice de ces Résistants, tout en revendiquant la reconnaissance de leur rôle dans l’histoire nationale. Comment l’Armée juive s’est-elle inscrite pleinement dans la Résistance française, tout en portant une identité et des objectifs spécifiques liés à la condition juive et au contexte de persécution ? La plupart d’entre eux arrivaient de Russie ou d’Europe centrale où les pogroms avaient déjà produit leurs effets…
Une résistance complexe : ambivalences et silences dans l’analyse historique
On regrettera l’absence de deux éléments importants à la présentation de cette page importante de l’histoire de la Résistance en France. Tout d’abord, une analyse limitée des tensions internes à l’Armée juive, les zones d’ombre, les ambivalences identitaires du mouvement, son lien avec le sionisme et la perspective d’un engagement futur en Palestine, et les relations complexes avec d’autres réseaux. Ce fut le cas de la majorité des groupes de résistants. On se rappellera la difficulté avec laquelle Jean Moulin a dû se confronter dans l’unification des forces de l’intérieur dans le cadre du CNR. On notera aussi une faible problématisation des enjeux identitaires et politiques (sionisme, après-guerre). Une contextualisation manque dans ce travail pour donner un horizon plus large et une compréhension plus fine de cet engagement.
L’Armée juive enfin reconnue comme force résistante en France
Ce livre constitue un témoignage pour la reconnaissance de l’engagement des résistants juifs en France. Il relève davantage d’un travail de mémoire. Il nous aide à comprendre la diversité et la complexité de la Résistance française. La création et l’organisation de l’Armée juive, les actions de résistance (sauvetage, faux papiers, combat armé) donnent – enfin – une visibilité là où on avait oublié de faire mémoire d’actes valeureux et d’abnégation. L’Armée juive. Une résistance française est un ouvrage important pour la reconnaissance mémorielle et la transmission de l’histoire des Résistants juifs en France. Sa faiblesse tient à une distance critique parfois insuffisante. La Résistance fut plurielle, et donc traversée par des identités et des motivations diverses, mais unie par le refus de l’oppression nazie. Les Juifs y ont contribué pour une part non négligeable.