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Peut-on tuer moralement ? Samy Cohen explore l’impensable

Samy Cohen, Tuer ou laisser vivre. Israël et la morale de la guerre. Flammarion, 23/04/2025. 368 pages. 22 €

Le livre de Samy Cohen, politiste et Directeur de recherche au CNRS, propose une réflexion approfondie sur les dilemmes moraux posés par l’usage de la force militaire dans le contexte du conflit israélo-palestinien. L’ouvrage s’inscrit à la croisée de la science politique, de l’éthique de la guerre et de l’analyse stratégique, en interrogeant la manière dont l’État d’Israël justifie et encadre moralement ses pratiques militaires. L’auteur s’attache principalement à l’étude des assassinats ciblés, des représailles militaires et de la gestion des civils ennemis, en examinant les arguments avancés par les responsables politiques, militaires et juridiques israéliens. L’enjeu central du livre réside dans une question fondamentale : jusqu’où un État démocratique peut-il aller pour se défendre sans renoncer à ses principes moraux et juridiques ?

La démarche est analytique et rigoureuse. Elle est fondée sur l’étude de discours officiels, de décisions politiques, de débats internes à l’armée et à la Cour suprême israélienne.
Il montre que la morale de la guerre en Israël ne relève pas d’un simple cynisme stratégique, mais d’un champ de tensions permanentes entre impératifs sécuritaires, considérations morales et contraintes du droit international. Loin de proposer une vision manichéenne, l’auteur met en évidence la pluralité des positions au sein de la société israélienne, y compris les critiques émanant de militaires, de juristes et d’intellectuels. Samy Cohen essaie de maintenir une distanciation critique. Il ne se place ni dans une posture militante ni dans une défense inconditionnelle de la politique israélienne. À trop parfois vouloir équilibrer les faits, les enjeux on pourrait perdre de vue ce qui concourt à l’éthique et à la morale. Il n’y a pas de tutiorisme ni de nominalisme. Les choses sont nécessairement (hélas) bonnes ou mauvaises. Ce qui donne de la vérité aux faits est le Droit international. Et l’on pourrait vérifier combien de fois le Droit a été bafoué au seul profit d’Israël que ce soit en matière politique, des Droits de l’Homme ou de la Culture. Le livre analyse davantage « comment on justifie » que « ce qui devrait être justifié », ce qui limite sa portée prescriptive. L’analyse des justifications morales et juridiques du Gouvernement israélien ne justifie en rien la violence sur les populations civiles palestiniennes. Le propos mériterait davantage une position éthique tranchée.

Le rôle central du discours moral dans la légitimation de la violence est mis en avant dans cet essai. L’auteur montre comment la référence à la « pureté des armes », à la protection des civils ou à l’état de nécessité sert à encadrer l’action militaire, tout en révélant les contradictions et les glissements progressifs de ces justifications face à la durée du conflit. En définitive, quelle est la norme dans les situations de conflit prolongé, analyse particulièrement pertinente dans le contexte des guerres contemporaines contre des acteurs non étatiques ? Cette analyse éclaire la manière dont l’exception tend à se normaliser dans les situations de guerre asymétrique.

Dans son livre, l’auteur aborde une question centrale et profondément polémique : la légitimation morale de la violence armée dans un conflit asymétrique et durable. En prenant Israël comme terrain d’analyse, l’auteur ne se contente pas d’un cas d’étude il va au-delà de l’environnement socio-politique national puisqu’il interroge plus largement les dilemmes auxquels sont confrontées les démocraties engagées dans la lutte contre le terrorisme. Il refuse le manichéisme trop souvent instrumentalisé dans les débats sur le conflit israélo-palestinien. En mettant en lumière la diversité des débats internes en Israël (politiques, militaires, juridiques et intellectuels), il désire montrer que les choix militaires ne relèvent pas d’un consensus aveugle mais d’arbitrages complexes entre sécurité et morale. Il y a des choix qui sont posés, et ils ne sont pas tous (toujours forcément) moraux… ; et donc justes.

L’écriture du livre est claire, pédagogique, et adapté à un public universitaire ou exigeant (débats juridiques et doctrinaux), et intéressé par les questions de relations internationales et d’éthique militaire. Le livre contribue à la réflexion sur la morale de la guerre dans les conflits asymétriques. En prenant le cas israélien comme terrain d’analyse, Samy Cohen propose un ouvrage qui dépasse largement ce contexte particulier et interroge, de manière plus générale, les conditions dans lesquelles les démocraties contemporaines recourent à la violence armée. On pourra mettre aussi en synopse la théorie portée par Bernard Kouchner sur le droit d’ingérence et aussi la théologie et la pensée de « la guerre juste » motivée par la pensée diplomatique du Vatican.

L’ouvrage éclaire de façon intéressante et constructive les contradictions morales des démocraties en guerre. La modération est certes un chemin pour trouver des lieux de rencontres, de compréhension et de sortie d’une crise politique et humanitaire endémique. Cependant, on pourrait penser que la faiblesse des Institutions internationales aujourd’hui et leur incapacité de porter le Droit devant les Nations est un échec cuisant. Il serait peut-être temps de changer les règles constituantes des Nations Unies, et de la composition du Conseil de Sécurité, du Conseil Permanent de l’ONU. C’est le Droit international qui, ces dernières années, a été particulièrement bafoué, et avec lui des peuples sans défense au profit de seuls grands potentats et de rapprochements politiques convenus. Néanmoins, la norme dans les situations de conflit prolongé est pertinente, et l’analyse particulièrement dans le contexte des guerres contemporaines contre des acteurs non étatiques l’est tout autant.

Malgré ces points d’attention, la bonne volonté droite et exigeante de l’auteur, le livre convainc par la finesse de son analyse, tout en laissant ouverte la question fondamentale qu’il pose : peut-on durablement concilier sécurité, démocratie et morale dans un conflit sans fin ? Je me permets de recommander, ici, un autre livre qui pourra accompagner l’ouvrage de Samy Cohen. Il s’agit du livre de Jérôme Heurtaux et Florence Hartmann, Le droit international est-il mort à Gaza ? Ed. Riveneuve (2025).

Samy Cohen met en œuvre toute une pédagogie là où des approximations ou des postures sont d’actualité. En prenant de la hauteur et de la distance, il ouvre forcément un chemin d’intelligence et de compréhension. Il nous fait grandir, et avec lui c’est l’Humanité qui grandit également. À lire !!!

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