Françoise Spiess, La nuit s’endort sur la Palestine oubliée. Éditions du Croquant, Collection Carton Rouge. 06/11/2025. 87 pages. 5 €
À l’écart du comptoir de la librairie où je me rends un petit livre se détache. L’introduction et le titre me séduisent : « Ce n’est pas la première fois que les conflits qui lézardent le monde me font écrire, peindre, ma façon de protester, de témoigner, d’évacuer ma rage et ma tristesse, mais dès le début de la guerre en Ukraine, collages, peintures et poèmes se sont imposés plus systématiquement, pour dire ma sidération, mon effroi, ma profonde compassion pour ce peuple éventré. Depuis le 7 octobre et ses assauts barbares que je dénonce, je ne peux plus détacher mon regard de Gaza où tous les espoirs d’un peuple sont engloutis dans l’horreur qui l’extermine (…) ».
Je décide d’acheter le livre La nuit s’endort sur la Palestine oubliée est un petit livre d’une centaine de pages qui combine des peintures, des collages, et bien sûr des poèmes. Ils sont tirés de photographies d’actualité retravaillées, ils viennent prolonger visuellement les poèmes, créant un dialogue entre texte et image sur les thèmes du chaos, de l’exil, de la souffrance et de l’humanité menacée. L’autrice, spécialiste en études théâtrales et plasticienne, donne voix à ce qu’elle perçoit comme le silence et l’oubli autour du drame que vit la population palestinienne, notamment à Gaza. Par ses mots et ses images, elle entremêle témoignage, cri de révolte et appel à l’attention du lecteur face à ce qu’elle décrit comme une barbarie observée sans intervention suffisante par le monde. Le croisement de poésie et d’art visuel permet de sortir du cadre traditionnel de l’essai politique ou historique. Cela crée une expérience de lecture qui donne autant à sentir qu’à penser : ce n’est pas une argumentation, mais une plongée sensorielle dans l’urgence ressentie par l’autrice face au drame évoqué. Les poèmes cherchent à faire ressentir une émotion forte, une empathie viscérale face à la violence et au désespoir. Les images plastiques ne sont pas décoratives mais travaillent au même registre affectif, renforçant l’intensité du propos. Il s’agit d’un appel à ne plus détourner le regard, et à être solidaire.
Ce petit livre se présente comme une œuvre artistique engagée. L’ouvrage se veut un témoignage contre une mémoire perdue. Il met le projecteur sur ce qu’elle considère comme une « extermination » silencieuse, l’intensité des destructions matérielles (villes et champs) et les souffrances humaines ; en particulier celles des enfants. À travers ses mots et ses images, elle exprime une révolte face à l’inaction internationale, face à la « barbarie » et à « l’arrogance des armes et de l’argent ». Elle invite le lecteur à ne pas détourner le regard, et à rejoindre des actions solidaires urgentes comme, par exemple, un appel à la prise de conscience et à l’engagement face à un peuple « accablé » qui, à ses yeux, « ne cherche qu’à vivre ». L’autrice ne cache pas sa volonté de provoquer une prise de conscience collective. La combinaison d’images et de mots crée une esthétique qui amplifie l’impact émotionnel. Les poèmes sont courts, intenses, et souvent poignants. Ils cherchent à traduire l’émotion, le désespoir et la force de résistance d’une population confrontée à la violence et à la destruction.
Le ton est émotif, direct et engagé, davantage poétique et artistique que discursif. Le format court et l’intensité des images et des vers contribuent à une lecture rapide mais percutante, conçue pour susciter une réaction émotionnelle forte chez le lecteur plutôt que pour développer une argumentation politico-historique détaillée. Le livre fait partie de la Collection « Carton Rouge », ce qui donne d’emblée un signal éditorial d’engagement et de critique sociale. Malgré la gravité du sujet, le format court et le style poétique rendent le livre accessible à un large public. Ce n’est pas un essai historique ou géopolitique, mais un livre poétique et visuel. Françoise Spiess prend fermement parti, non seulement pour la population palestinienne, mais aussi contre ce qu’elle qualifie de silence ou de complaisance du monde. Ce positionnement est cohérent tout au long du livre, ce qui donne une unicité de ton et d’intention. En contexte de débats polarisés autour du conflit israélo-palestinien, le livre est très engagé, et la poétique du cri et l’usage d’images d’actualité retravaillées peuvent être perçus comme partiaux.
La nuit s’endort sur la Palestine oubliée est un ouvrage engagé qui utilise la poésie et les collages pour témoigner d’un drame humain, celui de la Palestine, et pour appeler à ne plus ignorer la violence et l’injustice perçues. Le livre n’est pas un essai géopolitique. L’ouvrage poignant et provocateur, bien ancré dans l’actualité. Il ne fournit pas de cadre analytique pour comprendre l’histoire du conflit ou les enjeux juridiques internationaux. La poésie de Françoise Spiess est une manière de dénoncer ce qu’elle perçoit comme l’indifférence du monde face aux souffrances du peuple palestinien, notamment dans le contexte des violences récentes à Gaza et ailleurs en Palestine. Avec une centaine de pages l’ouvrage est très bref. Cela correspond à une intensité concentrée. Ce livre est d’une grande sensibilité, poétique, dont la force réside dans sa capacité à faire ressentir l’urgence que l’autrice attribue à la situation en Palestine. Le choix formel et discursif qu’elle a choisi est à la fois sa grande force (intensité, proximité affective) et une perception de partialité. En ce sens, le livre est plus un appel au cœur qu’un instrument de réflexion froide.
Pour le prix d’un paquet de tabac l’achat de ce petit livre restera dans les mains du lecteur plus longtemps que dure une cigarette à être réduite en cendres. Un peuple en ruine… Chaque page de ce livre est un cri. C’est un arrachement qui tord les entrailles dans sa vérité nue. Froid implacable… « Ce qui reste de la vie, Rendez-nous les enfants, Rendez-nous demain ». La Préface de Tahar ben Jelloun dit l’essentiel. « La mort est généreuse en terre de Palestine. Elle se promène, la nuit de préférence, et emporte les familles dans leur sommeil. Ceux qu’elle rate parce que son chariot est plein ne savent où aller avec leur chagrin. Une mère embrasse une basket de son fils. Une autre serre contre son cœur le corps de son petit enveloppé dans un linceul blanc. Un enfant ne sait que faire de ses parents déchiquetés par les bombes. Un autre court pour éviter les bombes. Il sera écrasé par un bulldozer (…) Reste la poésie dans sa nudité, sèche, sans fleurs ni musique pour dire l’indicible ». Et, La nuit s’endort sur la Palestine oubliée…