Arthur Billerey, Les Pédoncules élémentaires, La Rumeur libre, 15/06/2025, 126 pages, 19€
Certains livres ouvrent des portes inattendues. Les Pédoncules élémentaires d’Arthur Billerey est de ceux-là. Ce recueil de poésie, préfacé par l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, accomplit un geste rare : il relie la physique des étoiles à l’alchimie des sentiments. En s’inscrivant dans la lignée de poètes comme Lucrèce ou Raymond Queneau, qui ont su faire de la science une matière poétique, Arthur Billerey nous rappelle que la poésie est peut-être le chemin le plus court entre un atome et une larme.
Un poète à la croisée des mondes
Arthur Billerey, né en 1991, est une figure marquante de la nouvelle scène poétique. Éditeur et poète, récompensé par le Prix Rimbaud 2023 pour La Ruée vers l’ombre, il construit une œuvre qui pense autant qu’elle ressent. Son projet est clair : explorer le « lien » sous toutes ses formes – amoureux, social, cosmique – en utilisant les lois de l’univers comme une grammaire pour décrire le cœur humain. Il ne s’agit pas d’illustrer la science, mais de s’en servir pour nommer ce qui, en nous, échappe aux mots de tous les jours.
Une traversée du Big Bang au battement de cils
La force du livre tient aussi à sa construction pensée en cinq étapes, offrant un parcours cohérent qui mène le lecteur du chaos originel à l’incertitude intime. Le voyage débute avec « Que du feu », qui pose les fondations d’un monde élémentaire, incandescent, où l’énergie primordiale est aussi celle du désir. De là, le recueil évolue vers « Super nouvelle », explorant la transformation et la mort stellaire comme une métaphore puissante de nos propres deuils et renaissances. La lecture se poursuit avec « D’un vestibule à l’autre », une section qui aborde les connexions invisibles, ces « interactions fortes » reliant les êtres malgré la distance, à la manière de particules intriquées. Puis, « Ce n’est pas mal ici » nous ramène sur Terre, où la conscience cosmique s’ancre dans un quotidien tangible et sensible. Enfin, « Principes incertains » conclut sur une note quantique, embrassant le doute et l’instabilité comme des composantes essentielles de la vie. Cette progression donne à l’œuvre une véritable colonne vertébrale, où chaque poème trouve sa juste place.
Une écriture entre précision et évocation
Le style d’Arthur Billerey est direct et dense. Ses vers sont souvent courts, ses mots choisis pour leur poids exact. Il manie les images avec une grande finesse, créant des collisions fertiles entre le vocabulaire scientifique et le registre de l’intime. Un astre qui meurt devient un « cadavre d’étoile embué / cadavre d’étoile ambulant / qui a brillé autant l’espace / d’un moment de fumée ». L’image est saisissante car elle dit à la fois la physique de l’effondrement stellaire et la trace fantomatique laissée par un être disparu. Loin d’être un simple ornement, la science est ici un outil d’une redoutable efficacité pour exprimer des émotions complexes.
Le cosmos comme miroir de l’âme
Au cœur du recueil se trouve l’idée que nous sommes gouvernés par les mêmes forces que l’univers. Le feu, omniprésent, est autant la combustion des étoiles que la chaleur des corps. L’amour est décrit comme une force gravitationnelle, un lien fondamental. Arthur Billerey parle d’un « sentiment cosmique » : une prise de conscience que nos existences, nos affections et nos pertes font partie d’un cycle bien plus grand, celui de la matière qui se transforme. Quand il écrit « entre nous tout peut être sauvé / grâce à cette interaction forte », le concept de physique nucléaire devient la plus belle et la plus juste des déclarations d’amour, capable de résister au silence et à l’éloignement.
Une poésie pour le XXIe siècle
Les Pédoncules élémentaires est un livre important car il répond à un besoin contemporain : celui de retisser des liens entre nos vies intimes et le monde qui nous entoure. La poésie d’Arthur Billerey nous offre un langage pour penser cette interconnexion. On peut se demander si cette grammaire cosmique, à force de cohérence, ne risque pas parfois de frôler le système, où chaque émotion trouverait son exact équivalent physique. Mais ce serait passer à côté de l’essentiel. L’œuvre ne cherche pas à tout expliquer, mais à élargir notre perception. Elle nous apprend à voir la beauté d’un astre mourant dans un amour en suspens, et à sentir la pulsation de l’univers dans le battement de notre propre cœur. C’est une poésie qui rend le monde plus vaste et, paradoxalement, plus proche de nous.
Chroniqueuse : Suzanne Ménard
Faire un don
Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.








