Un titre empreint d’une certaine nostalgie et une première de couverture à l’illustration romantique.
« À l’ombre d’autrefois » est une première œuvre. Elle est la concrétisation du besoin d’écrire qui taraudait son auteur depuis ses jeunes années. Poussé vers des études scientifiques, Georges Dib s’est détourné de ses ambitions littéraires pour devenir médecin et se spécialiser en allergologie.
Après des études menées en France et une carrière qui s’est déroulée essentiellement au sein des Émirats arabes unis, il est revenu s’installer dans son Liban natal. Il y vit depuis vingt-deux ans. L’influence de son fils Bernard a été déterminante dans la rédaction de ce roman qu’il revendique plus sentimental qu’autobiographique.
Et pourtant que de ressemblances entre l’itinéraire de l’auteur et celui de son personnage le jeune Jafâr Sawâne du village de Talass !
On espère toutefois que Georges Dib n’a pas eu à subir les maltraitances cruelles qu’inflige le chef du clan Sawâne à son épouse et à ses enfants. La tendresse maternelle et la sollicitude bienveillante dont font preuve ses oncles, frères de ce père despote et violent, permettent néanmoins à Jafâr de conserver des moments d’insouciance à partager avec ses copains musulmans du quartier.
La découverte de la littérature occidentale et arabe ouvrira les frontières du monde à ce gamin intelligent, « grandi dans un foyer qui ressemble davantage à l’enfer qu’à un gîte quelconque ». On invoque indifféremment la Vierge Marie, Jésus ou Allah sans en obtenir le moindre bienfait…
C’est plus ou moins contraint qu’il va opter pour des études scientifiques alors qu’il envisage une carrière d’avocat.
Mais devenir médecin, c’est l’assurance d’un avenir confortable. C’est la certitude de pouvoir, un jour, éloigner la mère et les sœurs cadettes de ce père tant haï.
Pour Jafâr, comme pour Georges Dib, ce sera d’abord le lycée à Tripoli, puis les études de médecine en France, à Tours, et enfin à Paris. Études brillantes avec une spécialisation d’endocrinologie. Elles lui permettront par la suite de « fuir le Liban où les partis extrémistes fanatiques montent en puissance ». Ils ne cachent pas leur intention de vider la cité des partis laïcs, et même de tous les partis politiques. (p 376). Le jeune médecin ira donc exercer dans les pays du Golfe
Entre-temps, il aura découvert la France, le froid et la solitude, le racisme latent et la chaleur des amitiés sur sa route Et il aura vécu et clôturé dans la douleur une passion amoureuse telle, que le cours de sa vie et ses relations avec les femmes, en seront infléchis pour de longues années.
Le style de Georges Dib est aussi intense que particulier. Il use aussi bien d’un vocabulaire soutenu que de termes familiers. Il mixe adroitement passages de récits, très beaux paragraphes descriptifs genre épistolaire et longs dialogues. Il laisse une large place à des passages de discours indirect libre, qui permettent au lecteur d’explorer l’univers intérieur tourmenté de Jafâr. Il en résulte une fluidité du texte qui suggère le cours de la vie elle-même. La métaphore du train, très explicite, revient d’ailleurs de façon récurrente. Les références littéraires et musicales y sont multiples et témoignent de la richesse culturelle de l’auteur. Cette diversité assure une lecture agréable et prenante.
Un premier chapitre fracassant, narre un des retours de Jafâr, étudiant, à Talass, livrée à une horde de pillards. Mais la très grande partie de ce roman initiatique est consacrée à son idylle, fort mal terminée, avec Laura, la belle Allemande. Mais ce serait en limiter l’intérêt que de réduire « À l’ombre d’autrefois » à un roman sentimental.
C’est aussi une réflexion sur la réconciliation. D’abord, avec un père dont on découvre que « l’ogre, le monstre » présenté par la mère est aussi un chef de famille respecté, un responsable d’entreprise agricole, apprécié par ses ouvriers. Et surtout, un homme courageux, capable de prendre les pires risques pour les siens, sans doute mû par des sentiments qu’il est incapable d’exprimer.
Il faudra, pour prendre la mesure des qualités paternelles que Jafâr subisse la brutalité d’une incarcération arbitraire au centre de détention et de tortures de Noudoûb, que l’auteur situe pudiquement « au pays voisin Khassim, capitale Chamane ». Le lecteur interprétera.
Réconciliation ensuite avec lui-même. Pour arriver à construire sa vie, et surtout aimer à nouveau, Jafâr devra découvrir ses propres faiblesses. Il lui faudra bannir ses rancunes, son intransigeance, sa violence, autant de cicatrices d’une enfance malmenée. Il devra aussi faire le deuil d’une vie rêvée, comme Laura l’a fait de son côté. « Fais sans elle » lui avait déjà conseillé son ami Rached (p 410).
Pour parvenir à une existence apaisée « Sans regrets…De temps en temps à l’ombre d’autrefois… Mektoub… » (p 429), le fougueux jeune Libanais aura enfin fait siennes la modération et la clémence.
Merci à Georges Dib de nous avoir livré, avec tant de naturel et de talent, cet attachant portrait d’un autre lui-même, enfant d’un pays où sentent si bon les fleurs des orangers, qu’on y retourne un jour, après tous les exils !
Christiane SISTAC
articles@marenostrum.pm
Dib, George, « À l’ombre d’autrefois », Editions Sydney Laurent, 13/09/2019, 1 vol. (435 p.), 15,50€
Retrouvez cet ouvrage sur le site de L’ÉDITEUR
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