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Sous ce titre peu explicite se dissimule un récit passionnant pour un amateur d’aventures historiques. Il serait plus approprié de dire « pseudo-historiques » car finalement l’auteur avoue avoir à peu près tout inventé, mais son habileté consiste à embarquer (c’est bien là le mot juste) le lecteur dans la biographie d’un navigateur mythique pour ne livrer qu’à la page 231 (sur 233) un semblant de réalisme quand il précise :

Avoir eu la chance en 2019 de découvrir dans les réserves d’un monastère un parchemin jusqu’alors négligé reproduisant la traduction latine du Livre premier d’un traité intitulé « De l’océan » […] Si le nom n’est pas mentionné, ses nombreux voyages permettent de l’identifier sans hésitation. Nul autre que Pythéas pour commencer ainsi…

Ce parchemin aurait donc été la traduction en latin d’un texte grec puisque c’était la langue maternelle de Pythéas habitant Massilia, ville grecque, ou plutôt « colonie » (terme sans rapport avec son sens moderne), fondée par les Phocéens (Foca en Turquie aujourd’hui). On croit y voir un peu plus clair quand, quelques lignes plus bas, François Garde ajoute :

J’aurais aimé adosser mon récit à pareille trouvaille. Mais non. Nous ne saurons jamais rien de la vie de Pythéas… Écrire une biographie de Pythéas avec les seuls éléments avérés tiendrait sur une demi-page.

Décidément, abandonnons toute velléité de relation historique pour aborder ce texte qui transforme la demi-page évoquée à l’instant en un récit structuré de plus de deux cents pages. Après tout quel écrivain ne trouverait pas délicieux de bâtir une vie, d’imaginer un destin, de reconstituer une époque à partir de rien, sans un censeur qui interviendrait en criant à l’hérésie, si ce n’est au viol, pour le moindre détail litigieux ?

Or tout le talent de François Garde est précisément de nous mener en bateau tout au long de cette navigation historique dans laquelle un amateur de l’antiquité méditerranéenne ne pourra que se plonger avec délectation en se disant : « Quelle vie ce Pythéas, un vrai roman ! »

Entrons donc dans le vif du sujet, et oublions ce terme de roman car il est certain que l’écrivain a une solide connaissance du monde antique, notamment maritime, dans les années 350 avant J-C. Preuves en sont les allusions à nombre d’auteurs grecs et latins, notamment le géographe Strabon, relatant les exploits de ce fameux Pythéas, mais, car il y a toujours un « mais » dans les récits les plus convaincants, ces emprunts ne sont que des citations de seconde main à partir de on-dit peu fiables, alors autant s’en remettre à François Garde et à son érudition.

Ce dernier a organisé sa chronique en trois parties : les années de formation du jeune Pythéas lors d’un long séjour auprès des maîtres athéniens, puis ses célèbres navigations vers Thulé et l’Arctique (du mot grec « arctos » qui signifie « ours ») enfin une retraite consacrée à la rédaction de ses périples (mais pas que…). Les points forts du récit sont, à l’évidence, l’approche de la mythique Thulé (l’Islande probablement, le Groenland trop éloigné ?), les navigations vers le pôle, les aurores boréales, et surtout la découverte d’une mer gelée qui met le bateau en péril et provoque la panique des marins quand ils comprennent que ce piège est mortel. À force de rames, il faut alors revenir vers le sud, fuir cet étau qui menace d’enserrer un navire trop fragile pour résister à la pression des glaces. On attendra les grands explorateurs des siècles modernes pour retrouver l’angoisse du froid, de la nuit, de la banquise, il ne se passera plus rien pendant plus de vingt-trois siècles ! Peut-on noter que Jules Verne dans le capitaine Hatteras (1872) reprendra le flambeau d’un Pythéas pressentant le piège de l’hiver arctique ?

Ce qui est remarquable dans les pérégrinations du navigateur massaliote est sa volonté d’explorer un nouveau monde alors que ses commanditaires, les armateurs marseillais, n’y voyaient que l’opportunité de transactions commerciales principalement sur les métaux abondants en Bretagne (l’Angleterre) en court-circuitant les intermédiaires gaulois. Accessoirement Pythéas s’intéressera à l’ambre des plages de la Baltique et même à la corne de la mythique licorne dont la valeur suffit, semble-t-il, à financer une expédition. Bien entendu, à son retour et malgré les témoignages des marins, il est accusé de se vanter, il n’aurait pas dépassé les Baléares, à Marseille, déjà, on est à même d’apprécier les tartarinades.

Pour désarmer les sceptiques, il rédige des relations très précises de ses voyages, il aborde le problème des marées, des détroits, des ports etc… Ce sont de véritables « Instructions nautiques » qui seront utilisées par tous les navigateurs massaliotes ; le succès de ces livres est tel qu’il faut embaucher des copistes et que la vente de ces ouvrages devient un véritable commerce, malgré tout il ne doit y avoir que quelques centaines d’exemplaires et rien n’en subsiste alors que Platon, Aristote, Euripide etc.… ont été retrouvés dans les bibliothèques, notamment à Alexandrie.
Arrêtons-nous un instant sur ce point. Dans la troisième partie de l’ouvrage Pythéas se retrouve, involontairement, ambassadeur de Massilia auprès d’Alexandre qui séjourne à Babylone. Là nous sommes dans la pure imagination ; Pythéas est apprécié du grand Alexandre et ils bâtissent le projet de faire le tour du monde en naviguant toujours vers l’ouest : Alexandre organise, Pythéas naviguera. Simultanément le Macédonien marchera avec son armée vers l’Est à travers l’Asie, tous les deux savent d’évidence que la Terre est ronde, aussi estiment-ils qu’en trois cents jours ils se rencontreront sur la côte d’un pays appelé l’empire de Kitaï. L’hypothèse est-elle invraisemblable ? Alexandre peut tout tenter, lui aurait-on promis l’empire perse quand il partit à la conquête de l’Asie avec ses phalanges ? Malheureusement la mort du macédonien met un terme à ce projet qui eût fait gagner des siècles aux connaissances géographiques. Cependant Pythéas marque deux points auprès du maître du monde : à court terme il obtient l’abaissement de Carthage, cité commerciale rivale de Marseille ; à plus long terme il lance l’idée d’une bibliothèque à Alexandrie dans laquelle il espère que figureront ses propres relations sur ses voyages vers Thulé. Cette rencontre avec le conquérant grec le plus célèbre est, pour l’auteur, un moyen élégant d’amplifier l’odyssée nordique en lui donnant une portée universelle tout en respectant les préoccupations mercantiles des négociants massaliotes.

L’évocation de ce livre serait incomplète sans un rapide aperçu du style de l’auteur. Il aurait pu recourir à la forme d’un journal, quoi de plus normal pour un navigateur que de tenir « un journal de bord » ! En fait François Garde emploie le vocatif, il interpelle son héros à la deuxième personne :  » Trois jours plus tard tu atteins… Permets-moi de reprendre la parole…  » Cette formulation conduit le lecteur à être présent dans l’histoire, c’est un peu du théâtre.

Terminons sur la vocation de « Mare Nostrum », quel ouvrage se réfère-t-il mieux à cette définition de la Méditerranée ? Nous sommes au cœur de l’antiquité et de la mer fondatrice mais comme tout bon marin il faut quitter les côtes familières et atteindre l’inconnu, en un mot voguer, au-delà des colonnes d’Hercule, vers la mystérieuse Thulé.

Philippe CARTIER
articles@marenostrum.pm

Garde, François, « À perte de vue la mer gelée », Paulsen, 26/08/2021, 1 vol. (232 p.), 19,90€

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