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On ne présente plus Isaac Asimov, maître de la science-fiction, mais on aurait tort de se priver de cette belle trouvaille des Éditions le passager clandestin, A voté, particulièrement durant cette période électorale.

Les conseils d’un libraire sont tellement précieux ! Ils sont autant de médiateurs qui nous permettent de découvrir un titre, un auteur, une maison d’édition indépendante… Comme me disait Yann (de la librairie Le Divan, Paris 15e), A voté est un petit livre (une cinquantaine de pages), à petit prix (5 € seulement), qu’il est bon de proposer à chaque élection. On pourrait, qui sait ? Trouver dans cette lecture une motivation supplémentaire pour exercer ce droit acquis de haute lutte. « Les lois de la démocratie tendent, en général, au bien du plus grand nombre, car elles émanent de la majorité de tous les citoyens, laquelle peut se tromper, mais ne saurait avoir un intérêt contraire à elle-même », écrivait Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique. Que deviendrait la démocratie sans ses électeurs ? C’est ce qu’imagine Isaac Asimov en 1955, et on peut remercier la collection Dyschroniques des Éditions le passager clandestin d’avoir republié cette nouvelle.

En 2008, bienvenue dans la « démocratie électronique » ! La prochaine élection présidentielle des États-Unis d’Amérique est sur le point de se jouer dans l’État de l’Indiana, dans la ville de Bloomington, comté de Monroe. Chacun, simples citoyens, hommes politiques, journalistes et entreprises, se demandent qui sera désigné… électeur. Car le puissant ordinateur Multivac, par de savants calculs et une accumulation de connaissances souterraines, est capable de désigner l’électeur unique dont le vote sera représentatif de l’ensemble du corps électoral. Plus besoin de voter, suppression des coûts d’une campagne présidentielle onéreuse et de l’organisation d’un scrutin. Tout le monde aimerait être désigné électeur sauf… l’électeur choisi ! Par ses questions, banales ou incongrues, Multivac devine le choix qu’il aurait pu faire et détermine ainsi également le vainqueur. Pourquoi donc voter ?

Ce qu’il y a de fascinant – et d’effrayant – dans les dystopies, ce sont les échos avec notre époque. Comment Tocqueville, au milieu du XIXe siècle, est-il parvenu à percevoir des dangers qui menaceraient en son sein la démocratie et qu’elle générerait elle-même ? Comment, en 1955, Isaac Asimov pouvait-il imaginer avec tant d’acuité système concentrant les informations dans un espace numérique et nous connaissant peut-être plus intimement que nous nous connaissons nous-mêmes ?

La plupart des utopies, au-delà de tout l’intérêt qu’on peut leur trouver, sont critiquables par l’absence de libertés individuelles. Les individus sont, en quelque sorte, condamnés à être heureux et à agir conformément à ce que la société idéale exige d’eux. Les dystopies assument la perte de liberté pour mieux interpeller le lecteur. Elles sont autant d’alertes de la pensée : que faisons-nous aujourd’hui pour que ce demain n’advienne pas tel qu’il menace ? Il n’y a jamais que deux remèdes, dans nos sociétés démocratiques au moins. L’expression publique, dont le vote est une des manifestations sacrées, et l’éducation. Car pour que tous les avis, tous les votes se vaillent, chacun d’entre eux doit être éclairé par l’intelligence et la compréhension du bien commun. Alors, et seulement, « la majorité de tous les citoyens […] ne saurait avoir un intérêt contraire à elle-même ».

Asimov, Isaac, A voté, Le Passager clandestin, »Dyschroniques », 02/02/2020, 1 vol. (51 p.), 5€.

Image de Marc Decoudun

Marc Decoudun

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