Ramsès Kefi, Quatre jours sans ma mère, Éditions Philippe Rey, 21/08/2025, 204 pages, 20 €
Le livre de Ramsès Kefi, historien de formation et journaliste au Service société de Libération, aborde les thèmes de l’immigration (parents émigrés de Tunisie), de la banlieue, de la vie modeste, des rôles familiaux, de l’absence, des silences intergénérationnels. Le roman repose sur un événement simple. Le thème central de cet opus est l’absence maternelle et ses répercussions sur la famille, dans un contexte de vie populaire et de modestie sociale. Le roman raconte l’histoire de Salman, un homme de 36 ans vivant encore chez ses parents, dont la mère disparaît soudainement pendant quatre jours. C’est sur lui que le récit est centré.
Cet évènement agit comme un véritable déclencheur d’introspection
“Quand j’ai réalisé qu’elle n’était pas rentrée, que la porte restait close, j’ai senti un vide qui n’existait pas avant. Quatre jours, et déjà le monde semblait différent”. Un sentiment d’angoisse et de vide le plonge dans une peur non seulement pour le présent mais pour ce qui pourrait advenir dans le futur proche. Ce départ déclenche une réflexion sur la famille, le quotidien, les racines tunisiennes et l’absence. La dimension sensible et pudique donne à ce premier roman une vraie densité. Le style oral donne au décor populaire (“la Cité”, “la Caverne”) et aux personnages modestes une épaisseur humaine et “orientale” au texte. Nous nous situons dans un quartier ouvrier, une cité HLM de banlieue en bordure de forêt. Le quotidien des habitants est peu visible mais permet d’entrevoir la modestie, la routine, la pudeur des vies qui s’y usent et essayent d’émerger. Il nous donne à entrer dans la douceur rugueuse des voix populaires.
Le personnage principal n’est pas la mère uniquement, mais aussi le fils en devenir adulte, le père silencieux, et le quartier tout entier. Ramsès Kefi nous donne à regarder, et à nous mettre dans la peau d’une multiplicité de regards. Amani, 67 ans, femme de ménage à la retraite. Elle disparaît sans bruit, sans explication. Rien. Pas de bagage, pas de dispute, juste une casserole de pâtes sur la cuisinière et un mot griffonné : “Je dois partir, vraiment. Mais je reviendrai.” Son mari Hédi, ancien maçon, est bouleversé. Leur fils Salmane, 36 ans, vit encore chez eux, travaille dans un fast-food, évite l’amour, passe ses nuits avec son ami Archie. Que fait-il à cet âge encore chez ces parents ? Question bien actuelle dans beaucoup de familles. Les raisons sont certainement bien nombreuses…
La disparition de sa mère va forcer le fils à se confronter à lui-même… C’est un chemin de vérité
Le quartier, appelé “La Caverne”, devient presque un personnage à part entière : atmosphère de cité, de vie modeste, mais riche en silences, en tendresse, et les en non-dits qui parlent plus qu’ils ne disent… “Dans la cité, tout le monde savait tout de tout le monde, et pourtant chacun vivait dans sa bulle. On s’observait derrière les rideaux, on se saluait dans les escaliers, mais personne ne savait ce qui se passait vraiment chez l’autre.” On parle tant les silences et dans les mots qui ne sont pas verbalisés ; et pourtant ils disent des choses essentielles. La vie dans le quartier, le quotidien des familles immigrées, est décrite avec authenticité et sobriété. On ne retrouvera pas ici une amplification, des justifications, des images convenues ou exacerbées. L’important est de donner des voix, une épaisseur et une réalité à des vies modestes, et peu exposées. Dans ce microcosme se vit solitude dans la communauté et les contradictions de la vie collective en banlieue ; population vivant souvent des sentiments de rejet ou d’exclusion. Il sonde des vies invisibles. Tout ce que l’auteur décrit il le fait avec tendresse et justesse.
Salman va devoir affronter l’héritage tunisien de ses parents, les non-dits familiaux, et enfin trouver sa propre voie
Pour Salman, l’événement marque un tournant, une rupture avec l’adolescence prolongée, une prise de conscience. La banalité du mal-être/de l’inertie de ce fils de 36 ans qui vit encore chez ses parents, et soudain le temps le presse à l’introspection, et aussi à s’imaginer un passage à l’âge adulte malgré lui. Il serait sans doute bien resté dans cette inertie encore longtemps. Salman, ressent soudainement la nécessité de prendre des responsabilités. Ramsès Kefi expose avec justesse les difficultés du passage à l’autonomie dans un contexte social contraint. L’absence est perçue et développée comme moteur de maturité et de responsabilisation où se mêlent la mélancolie et la lucidité au cœur de sa vie. “Quatre jours sans ma mère m’ont appris que grandir, ce n’est pas seulement quitter la maison. C’est accepter les silences, les absences, et trouver des réponses que personne ne donnera jamais.”
Le roman rend hommage aux mères "silencieuses", piliers familiaux peu célébrés mais essentiels.
La place des mères (souvent invisibles mais essentielles) est très souvent reprise dans la littérature du Maghreb et du Proche-Orient. C’est un invariant de plus en plus présent dans la littérature. L’absence de sa mère agit sur lui comme un déclencheur psychologique et narratif. L’absence d’une figure maternelle révèle la fragilité et les liens familiaux entre tendresse, ressentiment et routine.
L’auteur privilégie l’introspection ce qui donne au récit une impression de lenteur et de contemplation
Le romancier rend bien l’atmosphère et le décor humain empreint de modestie et de réalisme. Un premier roman touchant qui est écrit avec beaucoup d’authenticité. Le roman porte en lui une douceur un peu triste. On y ressent une empathie sincère pour les personnages entre intimité et dimension sociale. Le roman parvient à rendre palpable une tension silencieuse. Le dénouement aurait pu avoir un peu une autre approche, plus développée. On aurait souhaité que l’histoire se poursuive ou qu’elle prenne un tour plus rond, plus clair et avec un peu plus de relief.
Au terme de ce livre le lecteur aura un triple sentiment qui rejoindra très certainement sa vie. Nous ne venons pas de nulle part.
Nous sommes ancrés dans une histoire tissée de relations mélangées faites de joies et d’ombres. Il pourra nous souvenir que le principal mouvement de notre vie est celui de grandir et de devenir adulte. N’est-ce pas là le rôle de nos parents et de nos mères à nous aider à advenir à nous-mêmes ? Enfin, combien il est difficile de concevoir une vie sans celle qui nous a mis au monde ; et voilà que parfois l’absence se fait angoisse, et en même temps est source de vie. Il y a toujours une référence à cette mère, pour qui que ce soit saint ou bandit, de sentir cette présence. Ceux qui n’ont pas eu la joie de cette présence sont, malgré tout, toujours en quête de cette réalité. Quatre jours sans ma mère est un roman nécessaire. Un premier roman prometteur ; et nous devons à la fois remercier l’auteur et sa Maison d’édition de nous l’avoir donné comme cadeau. À lire…, et à partager !!!
Chroniqueur : Patrice Sabater
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