Fanta Dramé, Ajar-Paris, Plon, 25/08/2022, 1 vol. (204 p.), 19€.
Deux noms propres et un trait d’union !Un titre aussi sec qu’un bon de transport dont le point de départ ne susciterait aucune image exotique.
Tout au plus s’interroge-t-on sur le nom Ajar. Associé à Émile, il renvoie au pseudonyme emprunté par Romain Gary pour son roman La vie devant soi. Ajar, en définitive, se révèle un village perdu dans la touffeur mauritanienne, à des lieux de la capitale Nouakchott. Et c’est une bien jolie surprise et un beau récit de vie que dissimule le titre choisi par Fanta Dramé.
Née à Paris en 1985, sixième enfant d’une fratrie de dix, cette jeune autrice, fille d’un père mauritanien et d’une mère sénégalaise, est aujourd’hui professeur de lettres modernes dans un établissement de Seine Saint-Denis.
À l’origine de ce tout premier roman, il y a le décès aussi soudain que douloureusement ressenti, de sa grand-mère paternelle, dans un hôpital parisien.
Lorsque se pose la question des obsèques, l’option retenue est de ramener le corps à son lieu de naissance et non au Sénégal, pays de sa bru, et lieu où son fils construit sa maison en prévision d’un lointain retour.
Dans cet improbable bled sans eau potable, où toute wifi se dérobe, et où cohabitent coca-cola et superstitions, Fanta est tout à coup bousculée par la question de ses origines. Et plus particulièrement par l’itinéraire de son père, parti rejoindre la France par les voies de l’immigration clandestine, le 7 novembre 1975. Elle attendra la fin de la période du deuil pour le questionner et lui faire part de son projet d’écriture. Élevé dans une madrassa malienne jusqu’à l’adolescence, Yély Dramé maîtrise l’arabe littéraire et il n’a jamais cessé d’approfondir sa connaissance du Coran. Mais malgré sa nationalité originelle, perdue en 1960 avec l’indépendance de la Mauritanie, à vingt-six ans, il ne lit ni n’écrit le français.
Pourtant la nécessité s’impose à lui comme une évidence : il doit partir pour assurer, de loin, la survie des siens et pouvoir un jour, envisager un mariage.
Il avait quitté un village, un pays, un continent, une vie pour un avenir prétendument meilleur en France. J'avais le sentiment d'avoir devant moi un authentique personnage de roman ? Le héros d'un récit initiatique. Les premiers chapitres de son histoire romanesque me conforteraient dans mes intuitions.
À ce Rastignac subsaharien, il faudra braver une vie clandestine, camouflée sous de faux papiers, apprendre une langue, trimballer des bagages sur un tarmac et cumuler des heures de ménages avec ses heures d’éboueur de la ville de Paris.
À travers les péripéties de cette existence d’immigré, ponctuée de nombreux repères chronologiques, Fanta Dramé aborde avec intensité et une grande justesse le sujet de l’intégration sous-tendue par les contraintes de l’emploi, du mariage en Afrique, du logement, de l’éducation des enfants. C’est d’ailleurs à travers ces derniers portés par une école publique qui transmet le savoir mais aussi la culture que se dessine le schéma de la véritable réussite parentale. On est bien loin de l’image négative, chargée de craintes, que véhicule aujourd’hui le terme « émigré ». Les enfants de Yély Dramé, par leurs diplômes ou leurs compétences contribuent pleinement, comme l’ont fait leurs parents, à la vie économique du pays qui est le leur. Ils en sont acteurs et citoyens. Ils ne renient pas leurs racines, mais le Sénégal est devenu le lieu des vacances, et fêter Noël se glisse dans le calendrier familial, à l’ombre du Ramadan.
La focalisation du livre se fait sur la personnalité paternelle, patriarche africain fier de sa carte d’identité française, que sa fille observe avec une tendresse pudique.
Fanta Dramé en nous transmettant de son père, cette image noble et digne d’un combattant du quotidien, rend un bel hommage de d’admiration filiale. Mais peut-on faire abstraction de la trajectoire de la mère, délaissant le boubou traditionnel et les casseroles pour un poste de caissière à Monoprix, bravant les interdits du mari et trouvant dans cette activité tant décriée par d’autres, un véritable épanouissement ?
Il serait d’ailleurs tentant de voir explorer de la même façon la vie de Lalya Souleymane, épouse Dramé par le regard attentif, la pointe d’humour et la plume alerte de sa fille.
Un nouveau récit envisageable ?
Chroniqueuse : Christiane Sistac
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