Alain Bauer, ABC de la criminologie, Le Cerf, Coll. Lexio, Janvier 2024, 304 p.9€
La criminologie est une thématique appréciée du grand public mais fort méconnue. Qu’Alain Bauer ait rédigé le présent opus attise aussitôt l’intérêt. En effet, d’une part, il a déjà écrit sur le seul sujet, Le crime aux E.-U. (QSJ 2003), Géographie de la France criminelle (Odile Jacobs, 2006), La criminalité en France (CNRS Ed., 2007), À la recherche de la criminologie (CNRS Ed., 2010), Criminologie plurielle (PUF, 2010), Statistiques criminelles et enquêtes de victimisation, QSJ, 2010), Une histoire criminelle de la France (Odile Jacobs, 2012), La criminologie pour les nuls (Ed. First, 2012), Dernières nouvelles du crime (CNRS Ed., 2013). D’autre part, professeur de criminologie appliquée au Conservatoire et des Arts et métiers et aux universités de New York et Shanghai, il est le seul titulaire d’une chaire de criminologie en France. Par ailleurs, franc-maçon (il fut Grand maître du Grand Orient de France de 2000 à 2003), il est un homme des médias disert et populaire, souvent invité pour commenter avec clarté et bons heurts l’actualité criminelle, le terrorisme et le renseignement.
La criminologie française, la sourde oreille et le marteau
Les premiers travaux sur la criminologie – l’étude scientifique du phénomène criminel et la recherche de ses causes, genèse, processus, conséquences et moyens de lutte – datent de 1876 avec Cesare Lombroso, le premier congrès international d’anthropologie criminelle étant de Rome en 1885. La Conférence des Organisations internationales non gouvernementales (OING) de Genève en 1952 recommande que les universités enseignent la criminologie, que cet enseignement soit obligatoire pour ceux se destinant à la magistrature et aux fonctions parajudiciaires et fasse appel aux exercices cliniques. Deux conceptions coexistent et se complètent : la criminologie, science unitaire et autonome, et la criminologie, faisceau de sciences. Si la criminologie est pleinement reconnue et enseignée dans les pays anglo-saxons et aux E.-U (universités de droit et de sociologie, écoles et instituts de criminologie publics et privés), a contrario, elle s’est, et pendant longtemps, peu développée en France (monopoles disciplinaires, prés carrés, budgets concurrentiels). Mal vue et perçue comme un accessoire du droit pénal, la criminologie apparaît dans l’hexagone comme une spécialité, voire une pseudoscience, et non comme une discipline. L’année 2009 consacre la création de la Chaire de criminologie au sein du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) avec un Master Sciences criminelles et criminologie. Une section de criminologie apparaît au JORF du 15 mars 2012 mais est vite annulée avec le changement de majorité politique. Longtemps sujette à controverse, critiques et rejets, la criminologie est enfin devenue en France une discipline à part entière avec ses licences, masters, doctorats et DBA (doctorats en administrations des affaires).
La criminologie en plus de quarante nuances de Bauer
Le présent opus est divisé en deux parties : la première est un dictionnaire des grandes notions de criminologie, la seconde un florilège des textes fondateurs en matière de criminologie du XVIIIe siècle à nos jours. S’agissant des grandes notions de la criminologie et des différentes théories (apprentissage social, association différentielle, contrôle social, étiquetage, lien social, maîtrise de soi, parcours de vie, routine, sous-culture, tension), bon nombre, spécifiques, sont peu connues, toutes sont intéressantes et nous montrent la richesse insoupçonnée de la discipline. Aliénation : folie ou monomanie homicide opposant aliénistes et juristes rend irresponsable le prévenu en état démence. Col blanc : expression créée par Edwin Sutherland en 1949 avec son ouvrage White-Collar Crime qui tient compte des statuts et conditions des criminels, notamment ceux du milieu des affaires. Crime : infraction, acte puni par la loi ; transgression de la norme. Police : mécanisme complexe tant dans son organisation que dans ses fonctions pour maintenir l’ordre. Si la part visible est la force de l’ordre, la part invisible peut être le non-respect de la procédure et le recours à l’illégalité. Terrorisme : longtemps hors du champ des criminologues, le terrorisme, avec ses actes violents, destructeurs et meurtriers, relève de la criminologie depuis 1995. Phénomène extrémiste en constante mutation (Terreur et gouvernement de la Révolution française, nihilisme russe, organisation politique (Fraction Armée rouge) ou religieuse (Al Qaïda), qui s’attaque aux populations. Vitre cassée : un quartier peut devenir une zone à risque dans un processus en trois étapes. Des comportements incivils font déserter la population civile. Une population incivile envahit les lieux publics. Le quartier devient la proie des délinquants qui désormais opèrent impunément. La métaphore est que si la vitre n’est pas rapidement réparée, d’autres vitres seront cassées. La solution arrêter la casse est la politique de la « tolérance zéro ».
S’agissant des textes de référence, tout est question de choix personnel mais l’auteur propose des écrits indispensables pour appréhender et s’intéresser à la matière. Pour ma part, je citerai les incontournables Traité des délits et peines de Cesare Beccaria (1764), De l’identification par les signalements anthropométriques d’Alphonse Bertillon (Conférence au Congrès pénitentiaire de Rome du 22 novembre 1885), L’étude du délinquant en tant que personne d’Ernest W. Burgess (Déviance et société, vol. 27, 2003), Pourquoi punir ? de Maurice Cussdon (Dalloz, 1987), Introduction à la criminologie d’Étienne De Greef (1946), Les règles de la méthode sociologique d’Émile Durkeim (1895), La sociologie criminelle d’Enrico Ferri (1893), Surveiller et punir de Michel Foulcault (1975), Les empreintes digitales de Francis Galton (mémoire de 1888), La philosophie pénale de Gabriel Tarde (1890).
Ce petit livre de poche est l’outil idéal, à la fois maniable et pédagogique, dense et exhaustif, pour tout savoir sur la criminologie. Il s’adresse tant aux étudiants en criminologie et aux juristes qu’aux curieux en la matière. On ergotera en regrettant l’absence d’une partie (ou notion) cinématographique (Le crime était presque parfait d’Alfred Hitchcock de 1954, Le crime de Monsieur Lange de Jean Renoir de 1936, Le criminel d’Orson Welles de 1946). En résumé, cet ABC est TB !
Chroniqueur : Albert Montagne
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