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La première dame de la Renaissance

Lors de mes études, j’avais été frappé par un portrait de la fille de Louis XI : Anne. Toute de noir vêtue, arborant un visage d’une extrême sévérité, elle semblait vouer aux gémonies les ennemis de la France. Il y a quelques jours à peine, je passais dans la ville de Moulins, résidence de celle qu’on appelait Anne de France ou, bien qu’elle ne l’ait jamais été elle-même, la reine Anne. La visite de son palais et de la riche collection qu’elle contient me donna envie d’en savoir plus sur cette grande dame de notre histoire. Par un coup de chance, Aubrée David-Chapy publiait dans le même temps son dernier opus sur les femmes de pouvoir : « Anne de France », que je m’empressais de lire. L’écriture parfaite et envoûtante de cette agrégée d’histoire me conciliait immédiatement la personnalité unique de cette princesse.

Si l’on connaît plusieurs épouses de rois de France, dont la forte personnalité a marqué les esprits par leurs réussites et parfois leurs errements, il en est une qui, sans avoir été couronnée, a influencé son siècle de manière tout à fait positive et a inspiré durablement ses « successeurs » masculins. Louis le onzième, dont on ne peut que louer la clairvoyance, la ténacité et la rouerie, s’est toujours su malade. Son épouse Charlotte de Savoie lui a donné Anne, Charles, le futur roi et Jeanne. Doué d’un don de divination improbable, il va mettre toutes ses forces au service de l’éducation de son aînée, tout en sachant qu’elle ne régnera pas car la loi Salique veille, implacable. A-t-il compris que son état de santé l’emporterait sur ses grands projets ? Délaissant la formation de Charles, il s’emploie avec énergie à parfaire celle d’Anne, prévoyant peut-être qu’elle saura mener le bateau de la France lors de la minorité de son jeune frère.

Pour mener à bien son projet, l’Universelle Aragne va marier son aînée avec son plus fidèle collaborateur, Pierre, duc de Bourbon et seigneur de Beaujeu. Ce serviteur loyal en tout point a vingt ans de plus que sa dulcinée. Qu’importe cette différence pourvu que l’amour remplace la raison d’État. Ce couple, uni par une passion commune pour les arts, la religion, la politique, le service et de réels sentiments dont leur fille Suzanne sera bientôt le fruit, va insuffler un élan nouveau dont la France a besoin.

Anne de France
Anne de Beaujeu

Le roi se meurt. Il convoque sa fille Anne de Beaujeu, car c’est ainsi qu’on la nomme désormais, et dans la pénombre de sa chambre, lui confie le destin du royaume. Louis XI est à peine mis en terre que les prétendants à la régence se bousculent, et non des moindres. La reine douairière prétend exercer ce droit sur son fils mineur. Louis d’Orléans la revendique car le jeune Charles VII n’a pas encore de postérité et de ce fait, il devient l’héritier présomptif en cas de décès du nouveau monarque. Anne, secondée d’une main de maître par son ducal époux, enfile son gant de velours sur sa main de fer car elle est bien la fille de son père. Elle cajole, elle promet, elle concède mais pas sur tout ! S’il est une mission dont elle n’entend pas se faire dépouiller, c’est la conduite de son jeune frère car c’est un vœu de roi. Si tous les candidats à la régence ont leurs qualités, et leurs défauts, elle possède un atout que les autres n’ont pas : elle est fille de roi, que diable !

Afin de légitimer son droit, elle convoque le parlement, le séduit, le menace, lui assène une argumentation qui laisse peu de place à l’improvisation. Celui-ci, subjugué par la personnalité de la princesse, se soumet. La mère d’Anne a la bonne idée de passer de vie à trépas, enlevant à sa fille un de ses opposants. Louis, quant à lui, ne démord pas ! Une guerre civile, la « guerre folle », éclate entre les partisans de la régente et du prétendant. La dame de Beaujeu en sort vainqueur, appuyée par les partisans de feu son père. Le rebelle d’Orléans et ses affidés n’ont plus qu’à baisser la tête et accepter de moisir dans les « fillettes », ces cages qu’avait immortalisé Louis XI et que sa fille a remis au goût du jour.

Les mains libres, la sœur de Charles VIII peut enfin seconder celui-ci dans ses tâches royales. À sa majorité, loin d’éloigner Anne, il la prendra comme sa principale collaboratrice jusqu’à sa mort aussi brutale que ridicule. Louis d’Orléans devient alors roi. Sa vengeance va-t-elle s’exercer contre son ancienne geôlière ? Que nenni ! Au contraire, il va en faire une vitrine de la royauté et un personnage incontournable de sa cour et de son état-major rapproché. Il en ira de même avec son successeur, François 1er.

Mais il serait injuste de cantonner Anne de Beaujeu dans le rôle subtil et retors du pouvoir. Femme de lettres, mécène des arts et de la religion, la princesse s’emploie à magnifier son duché du Bourbonnais, à parfaire son savoir et en faisant appel aux plus grands artistes de son temps. Son empreinte marquera les générations futures et, s’il arrive à l’Histoire d’oublier ses acteurs, le livre d’Aubrée David-Chapy sera désormais là pour nous rappeler qui était cette grande dame.
Anne de Beaujeu, fille de roi, sœur de roi, la dernière dame du Moyen Âge, la première de la Renaissance.

Agrégée, docteur en histoire moderne, spécialiste de l’histoire des femmes aux XVe et XVIe siècles, Aubrée David-Chapy est l’auteur de Anne de France, Louise de Savoie. Inventions d’un pouvoir au féminin (2016). Elle assure le commissariat scientifique d’expositions, dont l’une a reçu le label « Exposition d’intérêt national ». 

David-Chapy, Aubrée, Anne de France : gouverner au féminin à la Renaissance, Passés composés, 11/05/2022, 1 vol. (284 p.-8 pl.), 22€.

 

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Renaud Martinez

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