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Antonio Scurati, l’écrivain italien de renom, auteur de la trilogie « M » sur Benito Mussolini, est bien plus qu’un simple romancier historique. Défenseur acharné de la liberté d’expression, il incarne la figure de l’écrivain engagé. Ici Beyrouth a eu le privilège de rencontrer cet homme exceptionnel pour un entretien à l’occasion d’un débat à Perpignan.

Grand blond au nez busqué et aux yeux bleus aussi doux que perçants, Antonio Scurati n’est pas du genre à se laisser museler. Cet écrivain au front dégagé d’un penseur à la tête bien pleine sait ce qu’il fait et surtout ce qu’il vaut. Avec un humour à toute épreuve, il ponctue ses interventions sérieuses d’anecdotes savoureuses sur Mussolini, rendant presque attachant ce personnage controversé.

Lorsqu’on lui a demandé s’il était possible d’écrire un roman sur une telle figure historique, Scurati a répondu avec aplomb : « Oui, oui, c’est possible. J’en ai déjà écrit trois, un quatrième est en route et un cinquième est en gestation. » Tel un détective littéraire, il a scruté à la loupe toutes les étapes de la vie du Duce, traquant les détails les plus farfelus comme les plus horrifiants, pour tisser une fresque extraordinaire sur un sujet qui l’est tout autant.

Scurati se décrit comme un « romancier documentaire », une approche qu’il a adoptée pour raconter l’histoire du fascisme à travers les yeux de Benito Mussolini dans son œuvre M, l’enfant du siècle. Il précise que son livre ne contient « rien de romancé, ni, sans doute, de romanesque », cherchant plutôt à transformer l’histoire en roman sans céder aux pièges de l’esthétisation. Cette approche singulière témoigne de la volonté de l’auteur de rester au plus près de la vérité historique tout en offrant une lecture captivante et immersive.

Né le 25 juin 1969 à Naples, Antonio Scurati est un écrivain, professeur et chroniqueur italien de renom. Enseignant la littérature comparée et l’écriture créative à l’Université libre des langues et de la communication (IULM) de Milan, il est également chroniqueur pour le prestigieux journal Corriere della Sera. Son talent n’est plus à prouver : ses ouvrages, traduits en plusieurs langues, battent des records de vente dans de nombreux pays et lui ont valu de prestigieux prix littéraires. En 2019, il a remporté le célèbre Prix Strega pour son roman M. Il figlio del secolo (M, l’enfant du siècle). En 2022, c’est son livre M. l’uomo della provvidenza (M, l’homme de la providence) qui a été récompensé par le Prix du livre européen.

La trilogie « M » de Scurati est une série de romans historiques qui retracent la montée et la chute de Benito Mussolini et du fascisme en Italie. Cette œuvre magistrale se distingue par son approche hybride, mêlant avec brio fiction et documentation historique pour offrir une perspective immersive sur cette période tumultueuse de l’histoire italienne.

Le premier volume, M. Il figlio del secolo (2018), couvre la période de 1919 à 1925, décrivant l’ascension fulgurante de Mussolini au pouvoir. Acclamé par la critique, ce roman a été salué pour sa capacité à humaniser le Duce tout en exposant les rouages de la montée du fascisme.
M. L’uomo della provvidenza (2020), le deuxième opus, poursuit l’exploration de l’ère mussolinienne de 1925 à 1932. Scurati y dépeint avec finesse les années de consolidation du pouvoir fasciste et les politiques répressives mises en place par le régime, tout en scrutant les relations complexes entre Mussolini et ses contemporains.
Enfin, M. Gli ultimi giorni dell’Europa (2023), le troisième volet, plonge le lecteur dans la période charnière de 1938 à 1940, marquée par l’alliance fatidique de Mussolini avec Hitler et la promulgation des lois raciales en Italie. Un récit poignant des derniers jours de l’Europe avant le basculement dans la guerre, où l’on découvre un Duce de plus en plus isolé et paranoïaque.
Mais l’œuvre de Scurati ne s’arrête pas là. L’auteur travaille actuellement sur un quatrième tome qui se concentrera sur la période de la Seconde Guerre mondiale, poursuivant ainsi la narration des événements historiques marquants de l’Italie fasciste sous Mussolini. Et comme si cela ne suffisait pas, Scurati a déjà annoncé qu’un cinquième tome suivra, abordant la période après Mussolini, complétant ainsi une pentalogie ambitieuse qui promet de marquer durablement le paysage littéraire italien.

Lors de notre rencontre à Perpignan, où il a reçu le Prix Mare Nostrum du roman méditerranéen, fondé par Jean-Jacques Bedu, Antonio Scurati nous a accordé un entretien, habilement traduit en direct de l’italien au français par Marion Poirson. Un moment privilégié pour mieux comprendre l’homme derrière l’écrivain et saisir ce qui l’anime dans son combat pour la mémoire et la liberté d’expression. Un homme qui est conscient qu’il pourrait être « outilisé » à des fins qu’il ne cautionne pas et qui reste extrêmement prudent lorsque d’aucuns se pressent pour le rencontrer ou poser avec lui pour une séance photos qu’il refusera par ailleurs !

Car au-delà de son statut d’écrivain de renom, Antonio Scurati est avant tout un homme simple et discret. Loin des paillettes et du vedettariat, il incarne la figure de l’écrivain engagé, qui n’aime pas qu’on le taxe d’ »intellectuel » parce que, selon lui, « ce mot peut faire porter plusieurs masques à la fois. Sous prétexte d’être intellectuel on se permet toutes les postures, surtout celles qui sont irrecevables ». Une humilité et une droiture qui forcent le respect et qui donnent encore plus de poids à son combat contre l’oubli et la manipulation de l’histoire.

Au fil de notre conversation, nous avons découvert un homme profondément attaché à la vérité historique, animé par la volonté de comprendre et de faire comprendre les mécanismes qui ont mené à l’une des pages les plus sombres de l’histoire italienne. Mais aussi un homme d’une grande finesse d’esprit, capable de pointer avec humour et lucidité les parallèles troublants entre le passé et le présent. Dans sa réponse à la question sur la rareté des personnages féminins dans sa trilogie, Scurati révèle la mentalité machiste et misogyne de l’époque. L’auteur cite même une note personnelle du Duce, révélant son détachement émotionnel : « Aucune femme ne pourra se dire satisfaite de l’intimité avec moi parce que peu après avoir joui, je suis attiré irrésistiblement par l’image de mon chapeau. » Cette remarque illustre parfaitement l’attitude d’un homme pressé, considérant la femme comme un simple objet de désir éphémère. Cependant, malgré ce contexte, les femmes ont joué un rôle significatif, bien que méconnu, dans la vie de Mussolini.

Là où il n’y a pas de place pour les plumes, il n’y a pas de place pour la vie. Cette métaphore pourrait résumer Scurati qui souligne l’importance cruciale de la liberté d’expression dans une société démocratique où les écrivains jouent un rôle vital de gardiens de la vérité et de la critique sociale.

Cette rencontre avec Antonio Scurati restera gravée dans nos mémoires comme un moment d’exception, un privilège rare de dialoguer avec un homme hors norme qui fait honneur à la littérature et à l’engagement. Un écrivain dont l’œuvre et le combat sont plus que jamais nécessaires dans une Europe confrontée à la résurgence des extrêmes et à la tentation du repli identitaire.

Image de Bélinda Ibrahim - cheffe du service  culture d'Ici Beyrouth

Bélinda Ibrahim - cheffe du service culture d'Ici Beyrouth

Cet article a été publi sur le site d’ICI BEYROUTH le 24 mai 2024

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