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Dans notre époque si matérialiste, les sonorités poétiques du titre du premier roman d’Abigail Assor, “Aussi riche que le roi”, trouvent un écho évident. Dans le Maroc des années quatre-vingt-dix, une intrigue romanesque et amoureuse se peint avec une vive subtilité.

Sarah, jeune franco-marocaine de seize ans, vit dans un deux-pièces à Casablanca, où elle fréquente le lycée français. Ce sera Driss, “aussi riche que le roi”, et personne d’autre qu’elle épousera, il fera d’elle une reine. Driss est laid. Nez crochu, bedonnant, jambes courtes, démarche de canard. Sarah, elle, est belle, le regard des hommes désire son corps tandis que celui des femmes l’envie. Au début du roman, sa seule ambition est de sortir de sa pauvreté comme on change de vêtements, en abandonnant les anciens derrière elle. Son éducation sentimentale, elle l’a apprise avec ses condisciples, fils d’expatriés ou de riches Marocains, en échange de quelques cafés, de jus de fruits chez “Jus Ziraoui” ou de paninis, avant qu’ils ne la traitent de pute. Elle jette alors son dévolu sur Driss, vingt-quatre ans, dont un petit ami lui a appris que sa famille était “plus riche que nous tous. Peut-être aussi riche que le roi”. (p. 14).

Avec simplicité, la langue d’Abigail Assor se déploie, sans fioriture, et peint en couleurs vives un tableau de la société marocaine de Casablanca. Une société normée, une société de castes, où les riches et les pauvres, comme les Marocains et les Français, ne se mélangent pas, vivent côte à côte dans des quartiers séparés, jamais ensemble. Le mépris et l’arrogance font partie de la différence de classe. Les expatriés appellent leur bonne “jeune fille” ; la mère de Driss “les appelle toutes Fatima, c’est plus simple à retenir” (p. 190). Épouser Driss est un défi pour Sarah, une revanche à prendre sur la vie, sur sa situation, sur la pauvreté. Une demi-victoire pour la condition des femmes. “Ici, on était gouverné.” (p. 142) : si les femmes gouvernent les bonnes, tout le monde l’est par le roi, les femmes par les flics, les femmes par leur mari. En haut de cette pyramide sociale, les Fassis. “Être fassi, c’était toujours et pour toujours être riche.” (p. 143.) Driss était fassi.

Driss a aussi des yeux de thym. « Oui, le thym avait dû avoir sa part de responsabilité, dans toute cette histoire. Plus tard, Sarah avait pensé que s’il n’y avait pas eu les yeux, […] elle n’aurait pas été aussi loin.” (p. 15.) Tout ne pouvait pas être aussi simple que l’argent dont il est question à chaque page. À Driss, Sarah n’a pas menti, elle n’a pas prétendu être vierge, elle n’a pas caché sa pauvreté. Il lui a fait des cadeaux, bien sûr, des pâtisseries pendant le mois de ramadan ou un magnétoscope, mais elle l’écoute, rêvant à un avenir doré d’incommensurables richesses. Elle l’écoute et elle sait l’apaiser quand il est en surchauffe. Oui, “s’il n’y avait pas eu les yeux”…

Construisant son histoire par petites touches, patiemment, sans tout dévoiler, Abigail Assor n’a pas une vision totalisante du roman naturaliste, elle n’enferme pas dans un système son récit. Les personnages baignent dans les mots, s’en sortent comme ils peuvent. Ce premier roman, éminemment romanesque, révèle un véritable talent de composition et de narration qui promet, il faut l’espérer, de belles lectures à venir.

Marc DECOUDUN
contact@marenostrum.pm

Assor, Abigail, “Aussi riche que le roi”, Gallimard, “Blanche”, 07/01/2021, 1 vol. (206 p.), 18,00€

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