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De la mythologie à l’amour, de la Grèce antique à nos jours, soutenu par une écriture poétique époustouflante, « Autobiographie du rouge » s’empare du mythe de Géryon, pour nous entraîner dans les turbulences du sentiment amoureux.
Qu’il est difficile de parler d’un livre qu’on aime à ce point ! Comment faire entendre la mélodie rythmique des versets ? La poésie de cette écriture ? Comment partager le trouble qui nous assaille à la lecture ? On ne peut que remercier les éditions de L’Arche d’avoir demandé à Vanasay Khamphommala la traduction de ce livre, publié en 1999.
Ce « roman en vers », comme le sous-titre l’indique, est une hydre : plusieurs têtes pour un seul corps. Le rouge, c’est la couleur de Géryon, géant antique ailé, que vient tuer Héraclès d’une flèche dans la tête, pour s’emparer de son troupeau et accomplir le dixième de ses fameux travaux. Anne Carson, à la suite des fragments qui nous sont parvenus du poème de Stésichore consacrés au mythe, reprend l’originalité du poète grec, s’attachant non au point de vue du héros civilisateur, mais à celui du géant Géryon.
« Autobiographie du rouge » recrée, remodèle ces personnages-là dans une pâte humaine et à notre époque tout en conservant le merveilleux mythologique. Géryon reste ce monstre ailé et rouge, que nous connaissons. Enfant abusé par son frère, il rencontre l’amour avec Héraclès qui l’abandonne. De la passion au désespoir, jusqu’aux retrouvailles inattendues en Amérique du Sud dans un triangle amoureux équivoque, c’est un tableau sensible de l’amour que peignent les superbes versets de l’autrice.
Loin du roman d’analyse, loin de la psychologie amoureuse des Fragments d’un discours amoureux de Barthes, la plume d’Anne Carson représente des scènes dont l’universalité nous pénètre au cœur. Il n’y a pas d’explication. Le Verbe créateur de la poétesse suffit à faire ressentir la complexité des sentiments qui assaillent, qui bousculent les personnages en proie à l’amour. « Comment certains prennent le pouvoir sur d’autres, / quel mystère […] » (p. 94). Géryon ne comprend pas plus que nous quand les flèches d’Éros nous touchent ce qu’il sent, il est emporté par le flot des sentiments. L’éveil amoureux des premiers émois, des premières expériences, nous structure ou nous déstructure malgré nous. La distance de la réflexion ne vient que lorsqu’une tierce personne pose la question : « Tu l’aimes ? Géryon réfléchit. Dans mes rêves oui. Tes rêves ? / Les rêves du bon vieux temps. /Quand tu l’as connu ? Oui quand je – le connaissais. » (p. 162).
Poétesse canadienne de langue anglaise, Anne Carson a reçu cette année la plus prestigieuse distinction espagnole, le prix « Princesse des Asturies de littérature ». Comme l’indiquent ses quatrièmes de couverture, non sans humour, « elle enseigne le grec ancien pour gagner sa vie ». Qu’avons-nous à savoir de plus, quand une bonne part de son œuvre tient à ce rapport au grec ancien ? Dans ce poème narratif qu’est Autobiographie du rouge, l’énigmatique fin maintient en suspens le désir du lecteur. La beauté tragique laisse éclore la modernité lyrique d’une langue nouvelle qui s’égare admirablement dans le tourbillon des sentiments.

Marc Decoudun
contact@marenostrum.pm

Lien en anglais vers la page consacrée à Anne Carson sur le site de la Fondation Princesse des Asturies (notamment la vidéo du discours de remerciement de la lauréate) 

Carson, Anne, « Autobiographie du rouge : roman en vers », Arche éditeur, « Des écrits pour la parole », traduit de l’anglais par Vanasay Khamphommala, 18/09/2020,1 vol. (169 p.), 16,00€.

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