David Hury, Sans nouvelles depuis Drancy, Éditions Riveneuve, 29/08/2024, 348p., 22€
Avec Sans nouvelles depuis Drancy, David Hury, journaliste, romancier et photographe, nous offre bien plus qu’un roman familial. À travers le destin poignant de ses grands-parents, Andrée et Maurice, c’est un pan entier de l’histoire des familles juives décimées par la barbarie nazie qu’il explore. Un récit d’une intensité rare, porté par la voix d’Andrée, qui se bat obstinément pour retrouver son mari déporté.
Le roman s’ouvre sur une scène saisissante : nous sommes en août 1945, et Andrée arpente fiévreusement les couloirs de l’hôtel Lutetia, devenu le rendez-vous des survivants des camps. Chaque jour, inlassablement, elle questionne, scrute les visages émaciés, brandit la photo de Maurice, dans l’espoir fou d’un signe, d’une piste. « Andrée avait vite compris que cela ne servait à rien, mais, à chaque visite, elle recommençait sans se poser de questions », écrit David Hury.
Dès ces premières pages, le ton est donné. C’est par le prisme d’Andrée, de son opiniâtre quête, que nous allons revivre cette sombre époque. Au fil des chapitres, par un subtil jeu de flash-back, l’auteur reconstitue le puzzle de cette tragédie familiale.
On découvre le quotidien d’avant-guerre de la famille, entre la Normandie et Paris. Maurice, le mari d’Andrée, est décorateur. Malgré les premiers grondements de l’antisémitisme, ils mènent une vie simple et heureuse avec leurs deux jeunes enfants, Jean, le père de David Hury, et Josette, sa tante, aujourd’hui âgée de 93 ans.
Mais la guerre éclate, et avec elle, c’est un engrenage infernal qui se met en place. Les lois antijuives de Vichy, les rafles, la peur constante… David Hury excelle à restituer l’atmosphère oppressante de l’Occupation, cette angoisse sourde qui étreint peu à peu la famille.
Et puis vient le jour terrible où tout bascule. En octobre 1943, Maurice est arrêté par la Gestapo et interné à Drancy. Quelques mois plus tard, c’est au tour de Jean et Josette, âgés de seulement 9 et 13 ans, d’être raflés à leur tour.
C’est le début d’un long calvaire pour Andrée, une descente aux enfers minutieusement retracée par l’auteur. Seule, sans nouvelles, confrontée au silence assourdissant des autorités, elle remue ciel et terre pour retrouver la trace des siens. Une quête désespérée qui la mènera des bureaux de la préfecture aux antichambres de Drancy, en passant par les couloirs de l’hôtel Lutetia.
David Hury parvient avec un talent rare à nous faire ressentir toute la détresse d’Andrée, son désarroi face à l’absence, mais aussi sa ténacité, sa force de caractère hors du commun. Par petites touches, il dresse le portrait d’une femme humble et courageuse, prête à tout pour sauver sa famille.
Mais le roman ne serait pas complet sans l’évocation bouleversante du sort de Maurice, Jean et Josette. À travers des scènes d’une justesse poignante, l’auteur nous plonge dans l’horreur des camps, de la déshumanisation. Il y a ces terribles moments à Drancy, où les enfants « n’avaient jamais connu que coups et privations ». Et puis le retour des survivants, « décharnés, squelettiques, les cheveux décimés par la gale, les ventres vides ».
Des passages d’une intensité à vif, qui rendent palpable l’indicible. David Hury n’édulcore rien, ne cède jamais à la tentation du pathos. Avec pudeur et retenue, il met des mots sur l’innommable, faisant de son récit familial une œuvre à portée universelle.
Car à travers le destin d’Andrée et des siens, c’est aussi celui de milliers d’autres familles qu’il dépeint. Ces anonymes broyés par l’Histoire, dont les voix résonnent en écho dans chaque page. En racontant l’histoire des siens, David Hury rend un hommage à tous ces destins fauchés, toutes ces vies volées par la folie des hommes.
Mais comment David Hury en est-il venu à écrire ce roman si personnel, à exhumer ce passé longtemps resté dans l’ombre ? C’est dans la seconde partie de son livre que l’auteur lève le voile sur la genèse de son projet.
Tout commence dans la maison familiale de Normandie, où David Hury passe désormais tous ses week-ends. Lui qui a vécu près de 18 ans à Beyrouth, où il était correspondant pour différents médias, a décidé de se réinstaller en France en 2015. C’est donc avec « un pied en Normandie et la tête à Beyrouth », comme il se décrit lui-même, qu’il se lance dans cette aventure littéraire.
Au fil des conversations avec sa tante, dernière mémoire vivante de la famille, il découvre peu à peu l’ampleur du drame qui a frappé les siens.
De ces échanges, mais aussi de l’exploration minutieuse des archives familiales, va naître l’idée du roman. « Je me suis plongé dans les archives familiales, mais aussi des documents administratifs, des photos jaunies », autant de pièces du puzzle que l’auteur va patiemment reconstituer.
Pendant trois ans, il se transforme en véritable enquêteur, recoupant les informations, interrogeant inlassablement sa tante, mais aussi les rares témoins encore en vie. Comme ce camarade d’école de son père, hanté à jamais par le souvenir des hommes de la Gestapo venus arrêter son ami.
Mais David Hury ne s’arrête pas là. Pour donner chair et vérité à son récit, il consulte de nombreux historiens, spécialistes de la période. Il épluche les archives départementales, celles du Mémorial de la Shoah, celles de la Résistance au château de Vincennes pour reconstituer le réseau local, actif en Normandie. Un travail de fourmi, qu’il qualifie lui-même de « travail monstre », mais ô combien nécessaire pour restituer toute la complexité de cette époque.
De cette enquête minutieuse, de ces années de maturation, va naître Sans nouvelles depuis Drancy. Un roman où la grande Histoire se mêle intimement à celle de sa famille, où la voix d’Andrée se fait le porte-parole de tous les oubliés.
Si Sans nouvelles depuis Drancy est ancré dans le passé, il résonne avec une acuité toute particulière aujourd’hui. À l’heure où les derniers témoins disparaissent.
En nous racontant le combat d’Andrée, sa résistance face à l’inacceptable, David Hury parvient à trouver les mots justes pour dire l’indicible. Avec délicatesse et pudeur, il nous fait pénétrer au cœur de cette tragédie familiale, nous rend palpable la souffrance mais aussi le courage extraordinaire de ses protagonistes.
Son écriture, d’une grande sobriété, se met au service de l’émotion et de la vérité. Chaque scène, chaque dialogue, semble comme saisi sur le vif, restitué dans toute sa force évocatrice. On est pris dès les premières lignes par cette histoire, on vit, on vibre, on souffre avec Andrée.
Sans nouvelles depuis Drancy, publié aux éditions Riveneuve dans un format de 360 pages, n’est pas seulement un grand roman historique, c’est un cri nécessaire dans la nuit de l’oubli.
Chroniqueuse : Bélinda Ibrahim
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