Michel Bolasell, L’éveil au bout du monde, Le Cerf,13/06/2024,1 vol. 22€.
Un appel irrésistible, un chemin semé d’embûches et d’illuminations, une quête éperdue de l’Absolu… À travers le destin bouleversant d’une jeune enseignante devenue religieuse, L’Éveil au bout du monde explore avec une rare finesse les voies impénétrables par lesquelles une âme répond à sa vocation. Un premier roman éblouissant qui nous entraîne sur les traces des grands mystiques, au cœur d’une aventure spirituelle hors du commun.
Avec L’Éveil au bout du monde, Michel Bolasell signe nouveau roman envoûtant qui happe le lecteur dès les premières pages. On y suit le parcours atypique de Béatrice, jeune professeure d’histoire soudainement ravie par un appel mystérieux qui va changer à jamais le cours de son existence. Du silence du cloître aux taudis d’Amérique latine, son cheminement ressemble à une quête initiatique, ponctuée de renoncements et d’épiphanies, magnifiquement retracée dans une langue ciselée, sobre et poétique.
Au fil d’une intrigue joliment menée, l’auteur explore avec une grande justesse les arcanes d’une vocation religieuse au XXIe siècle. Les doutes, les tourments, mais aussi les joies et les moments de grâce qui jalonnent l’itinéraire de Béatrice font écho aux expériences des grands mystiques chrétiens, de Thérèse d’Avila à Charles de Foucauld. Une plongée vertigineuse dans les abîmes de la spiritualité, doublée d’une radiographie sans concession d’un monde en souffrance, assoiffé de sens.
Le bouleversement d'une vocation
« Pourquoi, d’un coup, avoir changé d’itinéraire ? » Tout commence sur un coup de foudre spirituel, par une chaude journée d’été. Alors qu’elle s’égare lors d’une promenade près d’un monastère dominicain, Béatrice, jeune enseignante épanouie, est soudain subjuguée par la beauté de la liturgie des vêpres. Une « fulgurance » qui fait voler en éclats ses certitudes et réveille en elle un appel impérieux, « brûlant ». Très vite, elle décide de tout quitter pour répondre à cette mystérieuse injonction et entre au couvent.
S’ensuit une période de formation exigeante où la novice, à force de silence et d’oraison, apprend à se laisser habiter par une Présence ineffable. Michel Bolasell excelle à décrire, dans une langue délicate, les affres et les joies de cet éveil à la vie intérieure. Les échanges avec sa maîtresse des novices ou avec Jean-Baptiste, un frère ermite, distillent une sagesse lumineuse qui n’est pas sans rappeler les enseignements d’un François d’Assise ou d’un Ignace de Loyola.
Mais après des mois de paix où « une paix douce, sereine, semblait s’être lovée en elle« , surviennent les tourments. Comme Thérèse d’Avila ou Jean de la Croix, Béatrice traverse une douloureuse nuit de l’âme, tiraillée entre ferveur et obscurité : « Fut-elle centrée sur le Dieu amour, leur quête d’amour toujours inassouvie ne suscitait-elle pas une certaine lassitude ? » Elle choisit alors de quitter le couvent pour rejoindre une congrégation itinérante, faisant sienne la formule de Jacques et Raïssa Maritain : « Le grand besoin de notre âge, en ce qui concerne la vie spirituelle, est de mettre la contemplation sur les chemins« .
Dans les pas du Christ, au service des plus pauvres
Sac au dos sur les routes de France puis d’Amérique latine, sœur Béatrice se laisse désormais guider par la seule Providence. Mendiant son pain et son gîte, elle part comme les disciples à la rencontre des exclus, faisant de chaque lieu un nouvel Emmaüs. Des bidonvilles de Buenos Aires aux villages reculés des Andes, en passant par les quartiers déshérités de Santiago du Chili, ses pérégrinations sont rythmées de rencontres bouleversantes qui opèrent comme des « grâces ».
Sous la plume inspirée de l’auteur qui connaît si bien l’Amérique du Sud, on voit se succéder les visages et les destinées cabossées, transfigurés par la compassion agissante des petites sœurs. Ici, deux adolescents perdus retrouvent goût à la vie ; là une vieille femme isolée reprend espoir ; ailleurs un routier désespéré renoue le dialogue avec son épouse… Chaque rencontre devient le théâtre d’une imperceptible métamorphose où se révèle la puissance de l’Amour divin à l’œuvre dans les cœurs. Comme mère Teresa ou l’abbé Pierre, Béatrice expérimente la joie paradoxale de se faire toute à tous, à commencer par les plus meurtris : « De parias qu’ils étaient, ces êtres au cœur de pierre pouvaient devenir des lumières pour leurs frères enténébrés, les encouragea la moniale. »
Ces années d’errance féconde, sublimement évoquées par l’auteur, ravivent le souvenir des premières communautés chrétiennes sillonnant les routes pour annoncer la Bonne Nouvelle. En se mettant à l’école des pauvres, Béatrice goûte comme François d’Assise « la suave douceur de l’âme qui se repose dans le Seigneur son Dieu« . Une expérience radicale de dénuement et de confiance qui lui fait vivre dans sa chair le mystère de la « kénose », l’abaissement du Christ venu restaurer la dignité des plus petits.
Le silence éloquent d'une "Terre-mère"
Alors qu’elle croit avoir trouvé sa place, un nouvel appel se fait entendre lors d’un voyage vers le sud du Chili. Comme sous l’effet d’une motion divine, Béatrice bifurque soudain vers l’île de Chiloé, confins d’un monde longtemps préservé. Dans ce paysage à couper le souffle, où terres et océans se confondent, elle est saisie par une évidence : c’est ici, loin de tout, qu’elle doit poursuivre sa quête.
Embauchée comme serveuse chez une vieille dame, la jeune femme découvre une île où tout semble pousser au recueillement et à l’intériorité. Bercée par le grondement des vagues et les légendes indiennes, Chiloé agit comme un révélateur sur la moniale. À l’image de l’écrivain Francisco Coloane, « passant au bout du monde » pour qui « le silence, davantage que les mots et la connaissance, est le plus sûr moyen d’accéder au fond de soi-même« , elle pressent qu’une voie inédite s’offre à elle, entre action et contemplation.
Car sur cette terre âpre et secrète, elle va faire une rencontre providentielle en la personne de Clara-Maria, une ex-cadre en quête de sens réfugiée au village de Quemchi. Au fil de leurs échanges, les deux jeunes femmes comprennent qu’elles suivent un chemin parallèle qui pourrait les mener vers « une nouvelle façon d’envisager la vie de moniale« . Une existence simple et retirée, à l’écoute des souffles de l’Esprit, en osmose avec l’âme ancestrale de l’archipel.
Sans que nous en dévoilions la teneur, Michel Bolasell suggère dans un épilogue vibrant que Béatrice a fini par trouver le lieu où déployer sa vocation si particulière. À la manière des Pères du désert ou de Charles de Foucauld à Tamanrasset, elle semble appelée à incarner la présence aimante de Dieu sur cette « Terre-Mère », dans une vie de prière et de partage avec les plus humbles. Une manière inédite d’être au monde sans être du monde qui fait écho à la quête de tant de nos contemporains.
Par la grâce d’une écriture finement ciselée, L’Éveil au bout du monde nous entraîne dans une aventure spirituelle et humaine hors du commun.
Seul un être d’une immense humanité comme Michel Bolasell, laïc dominicain épris de dialogue et farouchement opposé à toute forme d’extrémisme, pouvait donner naissance à ce joyau de la littérature spirituelle. L’Éveil au bout du monde porte l’empreinte lumineuse de son auteur, fervent chrétien habité par un idéal de tolérance et de fraternité universelle. Au fil des errances et des illuminations de Béatrice, Michel interroge le mystère de la vocation, cette « vibration ténue et insistante » qui vient bouleverser une existence. Mais loin de se limiter à un témoignage spirituel, ce roman éblouissant est aussi une pressante invitation à aller vers les périphéries pour y répandre la Bonne Nouvelle.
Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu
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