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Ibn Sina, ou Avicenne en Latin, incarne ce lien indicible entre l’Orient et l’Occident, l’Islam et la philosophie grecque. Né en 980 en actuel Ouzbékistan, le philosophe et médecin grandît influencé par la pensée Aristotélicienne dont les œuvres furent traduites en arabe par Abu Bisr Matta, Abu Utman al-Dimasqi et Ibn al-Hammar. S’initiant à la pensée métaphysique d’Aristote à travers l’œuvre d’al-Farabi, il se mit en quête d’appliquer la métaphysique à la pensée islamique. Contrairement à al-Kindi (d.873) qui identifia la métaphysique à la théologie, Avicenne entreprit d’établir son propre système métaphysique, comblant les lacunes de la pensée aristotélicienne.

Usant de la logique comme point de départ, Avicenne définit la métaphysique comme étude des êtres en tant que tels. Systématisant une méthode de raisonnement à base de syllogismes, qu’il appela “hads” Avicenne établit ainsi une théologie systématique, définissant la place de Dieu, des anges et des hommes dans l’univers et caractérisant leur essence et existence. Il est impossible de résumer en un seul ouvrage l’œuvre du philosophe arabe. Avec son essai sur Avicenne : Prophétologie et la Gouvernance du Monde, Meryem Sebti, lie la métaphysique du philosophe et sa mise en œuvre dans le monde. Quelle est la place du prophète dans l’univers ? Quelle est son essence ? Mais également, quel est son rôle ? La philosophie et théologie systématique, qui peut sembler pour le moins abstraite, nous paraît ici accessible, à la portée de la connaissance.

Il est néanmoins important de souligner que la doctrine selon laquelle une âme comme celle du prophète n’advient que rarement dans l’histoire semble difficilement compatible avec celle des trois propriétés psychiques du prophète. Avicenne conçoit ces trois propriétés psychiques comme étant communes à tous les hommes, mais développées à un degré exceptionnel par le prophète.

Le prophète d’Avicenne qui partage des similitudes avec l’homme parfait d’Ibn Arabi – il n’est d’ailleurs pas impossible que ce dernier s’en soit inspiré – est un homme comme tous les autres. Il n’est pas fait différemment, n’est pas prédestiné dès la naissance. Prophète, il le devient. La route vers la sainteté est longue, mais elle n’est pas réservée à une élite. Chacun peut y accéder. Ce qu’il lui reste à faire est polir le miroir de son cœur jusqu’à ce qu’il reflète la vérité. Avicenne prouve ici que la connaissance de la vérité se trouve en chacun de nous, elle s’acquiert par la pratique du “hads” le raisonnement par syllogisme.

Le monde intelligible se contemple dans les miroirs que sont les intellects humains. Ce ne sont pas les miroirs qui contemplent le monde intelligible, puisque le miroir est un objet qui rend la contemplation possible et non un sujet de la contemplation.

L’œuvre de Meryem Sebti nous pousse à nous questionner, à remettre en question l’histoire et se demander si les quatre califes bien guidés étaient réellement légitimes. Étant donné que le statut prophétique s’acquiert grâce au parcours initiatique de l’apprenti, Muhammad pouvait-il réellement avoir des successeurs ? Et à partir du moment où l’intégralité du message divin était déjà révélée, en avait-il vraiment besoin ? Le fait qu’il n’ait pas désigné de successeur n’en serait-il le meilleur argument ? Ali Abderraziz, qui publia en 1925 “L’Islam et les fondements du pouvoir” argue que Muhammad est le sceau de la prophétie, remettant donc en cause l’histoire islamique.

Exposant la pensée avicennienne avec simplicité et érudition, Meryem Sebti met à notre portée la métaphysique du “prince des savants”, démontrant son influence et sa pertinence dans l’histoire de l’Islam.

Éliane BEDU
articles@marenostrum.pm

Sebti, Meryem, “Avicenne : prophétie et gouvernement du monde”, Le Cerf”, “Islam : nouvelles approches”, 21/10/2021, 1 vol. (312 p.), 24€

Spécialiste de philosophie arabe, Meryem Sebti est chargée de recherches au CNRS et collabore à l’EPHE. Elle a publié, entre autres, Noétique et Théorie de la connaissance dans la philosophie arabe du IXe au XIIe siècle, avec Daniel De Smet.

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