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Ellie Midwood, Le couple qui défia les nazis, Traduit de l’anglais par Typhaine Ducellier, Éditions Faubourg Marigny, 12/09/2024, 500 pages, 22€.

Outre ses qualités romanesques qui tiennent les lecteurs et lectrices en haleine, Le couple qui défia les nazis nous fait accéder, sur la base d’une recherche documentaire minutieuse, à une dimension peu connue de la Seconde Guerre mondiale, notamment en France : la résistance intérieure au nazisme. Relatant l’histoire vraie de Libertas et Harro Schulze-Boysen, Ellie Midwood nous fait découvrir des Allemandes et Allemands épris de liberté qui, du printemps 1933 à l’hiver 1942, prennent le risque inouï de résister sur place à un gouvernement « qui pousse toute la nation vers l’abîme ».
Entre autres éléments intéressants, le roman rend compte avec justesse de la manière dont la disposition à résister de Libertas s’est construite. Il montre également comment, malgré « la traque inlassable de la Gestapo à l’encontre des ennemis du parti », la résistance de Libertas, de Harro et de leurs amis monte en puissance au rythme des exactions de plus en plus destructrices et ignobles du régime nazi. Enfin, il nous offre un moment d’intense émotion quand, lors d’un procès fantoche et de l’acheminement de ces combattants de la liberté vers le lieu de leur exécution, des gardiens, des soldats et des anonymes leur témoignent leur admiration et leur reconnaissance.

Libertas : genèse d’une disposition à résister

Libertas est issue d’une longue lignée aristocratique prussienne. Au printemps 1933, alors âgée de 19 ans, sa vie luxueuse dans la demeure familiale isolée lui pèse. Aspirant à travailler dans le milieu artistique et à se mêler à la bohème berlinoise, la jeune femme s’inscrit au Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) sur le conseil de son oncle Wend, bien qu’elle ne s’intéresse pas à la situation politique de l’Allemagne.
Grâce à l’entregent de son oncle dans les sphères du pouvoir, Libertas est embauchée au service de publicité des studios de la Metro-Godwin-Mayer (MGM) où, comme le dit le directeur qui lui fait visiter les locaux : « nous venons tout juste de finir de faire le ménage dans la maison ! ». La véritable signification de ce propos ne prendra tout son sens qu’un peu plus tard.
Toutefois, Libertas se rend aussitôt compte que parmi les photographies des acteurs, réalisateurs et autres professionnels du cinéma, qui se trouvent sur les murs des studios, certaines ne sont plus au-dessus de la plaque dorée indiquant leur nom. C’est le cas de celle de Erich Pommer, « fondateur du tout premier studio de production allemand, visage de la production cinématographique de Weimar, découvreur de Fritz Lang ! ». Devant l’étonnement, à la fois inquiet et exaspéré, de Libertas, l’ouvrier chargé d’enlever les plaques lui montre la liste des affiches à enlever, portant le cachet du ministère de l’Education du Peuple et de la Propagande du Reich.
Même si le temps d’adaptation à son poste semble l’éloigner de l’inquiétude et de l’exaspération ressenties face à cette liste, la jeune femme n’en demeure pas moins profondément heurtée que l’on puisse s’en prendre ainsi aux personnalités symboliques de la création artistique. De même, l’autodafé auquel tout le personnel de la MGM doit assister le 10 mai 1933 fait comprendre à Libertas que c’est bien « la pensée indépendante qui est en train d’être brûlée sous ses yeux ». Puis, alors que les violences à l’encontre des juifs berlinois ne cessent d’augmenter, lorsque pour justifier l’assassinat de son ami Martin Tressler – journaliste indépendant et nostalgique de la République de Weimar (1918-1933) –, la Gestapo lui demande de signer un document attestant que ce dernier était suicidaire, Libertas refuse. C’est son premier acte de résistance.
Durant l’été 1934, elle rencontre Haro, qui fut rédacteur en chef de Gegner, publication accusée de communisme radical par les SS, et dont elle est éperdument amoureuse. Les traces de torture laissées par la Gestapo sur le torse de Haro de même que le lien indéfectible qui la lie à Valérie, son ancienne gouvernante juive vivant à Paris, ont, à n’en pas douter, influencé émotionnellement sa décision d’entrer en résistance intérieure active contre le IIIe Reich.

Libertas, Harro et leurs amis : résister coûte que coûte

Leur résistance consiste d’abord à rassembler des documents confidentiels sur les projets guerriers du pouvoir hitlérien. Si, en intégrant la Luftwaffe (les forces de l’armée de l’air allemande), Harro a d’abord voulu « s’épargner, ainsi qu’à son entourage, de futurs ennuis avec les SS et la Gestapo », son poste de travail est décisif pour l’accès à ceux-ci.
Harro, Libertas et leurs amis considèrent que ces documents, regroupés et conservés au risque de leur vie, « pourraient renverser le régime d’Hitler si leurs contenus étaient révélés à temps » et qu’il convient donc de « les confier à des personnes capables d’en faire quelque chose ». Par exemple, lors d’un voyage à Paris pour le journal qui l’emploie, Gisela va déposer à l’ambassade d’URSS en France des documents attestant du projet d’Hitler d’aller jusqu’à Stalingrad. Quand, malgré le pacte germano-soviétique de non-agression réciproque signé le 23 août 1939, les troupes allemandes entrent en URSS, deux agents secrets soviétiques prennent contact avec le groupe d’amis, les impliquant dans la transmission hautement dangereuse de messages cryptés.
Puis, les médias étant désormais totalement contrôlés et manipulés par les services de Goebbels, sur l’idée de Harro, le groupe d’amis décide d’élaborer une brochure, appelée L’équipe de choc et dont l’objectif est de dire la vérité aux Allemands et Allemandes des classes intellectuelles qui se questionnent sur le régime nazi mais qui ne disposent pas d’un accès à des sources indépendantes d’information. En dépit des risques encourus, tous et toutes s’investissent à fond sur la base du partage des tâches (recherche d’informations, rédaction, impression, diffusion, etc.).
Puis, en 1941, alors que la mobilisation progresse, tous spécialement pour alimenter le front de l’Est, et que la Gestapo s’apprête à les piéger, Libertas, Harro et leurs amis décident de rédiger des tracts et de les répandre en nombre afin de prévenir la population du sort terrible et insensé réservé aux soldats.

Mourir pour avoir résisté mais avec la certitude de ne pas l’avoir fait pour rien

Les actes de résistance de plus en plus périlleux conçus et menés par le groupe sont portés par la confiance inébranlable qui les unit et qui les conduit à penser qu’elles et ils n’ont pas d’autre choix que de prendre le risque de mourir pour la liberté de leur peuple. Cette prise de risque partagée et assumée s’impose comme une composante scellant toujours plus profondément la relation amoureuse entre Libertas et Harro. Et, s’il faut mourir pour s’être opposé à la dictature hitlérienne, alors mourir ensemble après avoir résisté ensemble devient, paradoxalement, une exigence apaisante.
Tous et toutes vivent comme une mascarade le procès faisant suite à leur arrestation pour appartenance à un réseau d’espionnage en lien avec l’Union soviétique. N’ayant plus rien à perdre, Libertas ose opposer au juge, à la botte d’Hitler, un éclat de rire approuvé par les autres accusés mais aussi par des observateurs indépendants et des huissiers de justice. Cette approbation vaine mais réconfortante est suivie pendant la suspension d’audience, au grand étonnement des accusés, de l’attention respectueuse des surveillants qui leur ôtent les menottes permettant aux couples de s’étreindre et « aux frères d’armes de se serrer la main et de se remercier pour l’honneur de s’être battus ensemble contre un ennemi commun ».
L’attention respectueuse à l’égard des condamnés à mort est également de mise sur le trajet vers le lieu de leur exécution. Acheminés à un rythme volontairement lent, dans un véhicule avec une fenêtre non réglementaire, elles et ils ont l’opportunité d’apercevoir, « au niveau de la porte de Brandebourg, deux officiers en uniforme de la Wehrmacht qui s’arrêtent pour saluer le fourgon, ou encore, le portier de l’hôtel Adlon qui lève le poing en l’air de même que la postière à vélo qui les suit un moment, le regard fixé sur la petite fenêtre, une main sur le cœur ». Libertas, Harro et leurs amis comprennent que leurs tracts ont circulé, ouvrant peut-être le chemin à quelque chose de plus audacieux que tout ce que le groupe a entrepris ; « ils ont l’impression de laisser Berlin entre de bonnes mains » …

Hommage émouvant et captivant à l’histoire vraie de Libertas, Harro et leurs amis, Le couple qui défia les nazis nous sensibilise au courage extraordinaire dont ont fait preuve des jeunes Allemandes et Allemandes qui n’acceptaient pas que leurs pays soient entre les mains de fossoyeurs de la liberté. La force du roman d’Ellie Midwood est de saisir la résistance à la terreur politique comme une disposition à agir dans laquelle le parcours émotionnel de chaque personne rencontre une réalité insupportable dont la remise en cause implique inévitablement la mise en danger de sa propre vie.

Chroniqueuse : Eliane le Dantec

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