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Henry-Louis Gates, Black church : de l’esclavage à Black lives matters, Labor et Fides, 11/01/2023, 1 vol. (294 p.-30 pl.) , 22€

L’ouvrage Black church de l’universitaire Henry-Louis Gates Jr. est une exploration passionnante et extrêmement documentée du rôle de l’église noire américaine dans la construction de la communauté afro-américaine. À travers une narration chronologique couvrant cinq siècles, de la traite négrière à nos jours, Gates démontre que l’église noire a été bien plus qu’un lieu de culte, mais le cœur spirituel, social et politique permettant aux Afro-Américains de faire communauté et de résister à l’oppression.
On estime qu’entre le début du XVIe siècle et 1808, date à laquelle le commerce triangulaire prend fin, environ 15 millions d’Africains ont été arrachés à leurs familles et à leurs tribus, vendus à des négociants européens et transportés depuis la côte atlantique de l’Afrique vers le Nouveau Monde. Entassés par centaines dans des cales insalubres infestées de rats, ceux qui survivent à la faim, à la chaleur et à la maladie sont dispersés à leur arrivée sur des centaines de plantations réparties sur les deux continents américains, formant un peuple sans identité ni culture. Incapables de communiquer, les voilà unis dans leur asservissement. En 1865, les esclaves nouvellement libérés sont pour la plupart, sinon tous, dépourvus de toute connaissance de la culture de leurs ancêtres, de leur religion et de leur histoire.

Le christianisme des oppresseurs devenu l'espoir des opprimés

Persécutés et empêchés par leurs maîtres de pratiquer leur religion, quelle qu’elle soit, les esclaves noirs sont exposés au Christianisme, la religion de leurs oppresseurs. Cependant, à la lumière du message christique d’amour, de pardon et de libération, un grand nombre d’individus se convertissent et créent leurs propres paroisses. À travers l’Histoire, l’interaction entre le Christianisme et l’esclavage prend de nombreuses formes en fonction des Églises, des confessions chrétiennes, des colonies et des empires qui les régissent. En conséquence, il est difficile de rendre compte de manière générale de la conversion des esclaves noirs au christianisme et de l’implantation de leurs Églises en Amérique. Néanmoins, l’ouvrage de Henry Louis Gates Jr., Black church parvient à offrir une vue d’ensemble sur les différentes dénominations chrétiennes noires. Un travail remarquable qui retrace avec simplicité et précision l’histoire de l’Église noire et met en lumière la vie d’hommes et de femmes courageux et audacieux, animés par le message chrétien et une indéfectible rage de vivre. Pour certains, Dieu est une femme. Dans l’imaginaire chrétien des Occidentaux, Jésus est grand, blond et a les yeux bleus. Serait-il si absurde de le représenter noir ?

Toutes les races humaines qui, depuis les origines, ont tenté de décrire leur Dieu verbalement, ou par la peinture, la sculpture ou toute autre forme ou figure, ont transmis l’idée que le Dieu qui les a créées et avait façonné leur destin était symbolisé en eux […] Nous ne croyons pas qu’il y ait un quelconque espoir pour une race de gens qui ne croient pas qu’ils ressemblent à Dieu. Dieu est un Noir.

La Bible, du texte de l'oppresseur au livre de l'espoir

“Laisse partir mon peuple” (Exode 5:1). Voilà ce que demande Moïse au Pharaon qui retient les juifs en esclavage, un message qui raisonne particulièrement pour les peuples noirs d’Amérique. Beaucoup se retrouvent dans la parole du prophète orphelin et dans le message du fils de l’homme qui nous encourage à ne pas riposter, à tendre la joue gauche si quelqu’un nous gifle la droite. Voyant l’engouement pour le message christique, les Européens se mettent à fouiller leurs bibles avec frénésie, cherchant à tout prix un verset qui justifierait leurs exactions. Dans sa lettre aux Ephésiens, Saint Paul écrit bien : “Vous, les esclaves, obéissez à vos maîtres d’ici-bas comme au Christ, avec crainte et profond respect, dans la simplicité de votre cœur” (Ep 6:5). Cela ne suffit pas, il est trop tard. Le message de résilience apportée par Jésus a éveillé l’espoir de toute un peuple.

Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos ! Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! Moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent .

Bien que les Européens votent des lois interdisant la remise en liberté des esclaves convertis, le Christianisme continue de séduire grâce à ses doctrines du salut divin. S’ils ne peuvent être libres, la promesse du royaume des cieux les réconforte. Aux accents freudiens, le christianisme devient pour les esclaves noirs d’Amérique la lumière qui les guide vers la liberté. Abandonnés, sans repère, le Christ s’offre à eux tel un père, qui comme eux, fut persécuté et mis à mort.

La foi qui libère : l'église noire, fer de lance de la lutte afro-américaine

Cependant, la simple promesse du salut éternel ne suffit bientôt plus aux Afro-Américains, qui puisent dans leur foi la force de se libérer des chaînes de l’esclavage. Henry Louis Gates Jr. dévoile l’influence de l’Église noire, qui ne se limite pas à agir tel un mécanisme de défense contre les oppressions subies par ces communautés à travers l’Histoire, mais représente également une force politique et culturelle qui soutient près de 11 % de la population américaine. Présente dans tous les aspects de la vie quotidienne, l’Église noire s’incarne dans la voix d’Aretha Franklin ou celle de Mahalia Jackson, dans les discours de Martin Luther King Jr. et dans le courage de Rosa Parks. Depuis les plantations de coton jusqu’aux manifestations Black lives matters faisant suite au meurtre de George Floyd, en passant par la guerre civile et le mouvement des droits civiques des années 1960, l’Église noire a guidé, protégé et défendu le peuple noir d’Amérique.

Le siècle à venir verrait l’explosion d’un nouveau mouvement noir qui transcenderait race, sexe et frontières géographiques, et ouvrirait un nouveau chapitre pour l’Église noire. En cinquante ans, la communauté noire avait effectué un grand bond en avant, passant des jours sombres de l’esclavage à l’aube d’un nouveau siècle, guidée par une foi en la liberté. Toutefois, après tout ce parcours, une question demeure : y aurait-il un peuple africain-américain aujourd’hui sans une Église noire forte ?

Le rôle essentiel de l’Église noire

Malgré sa relation conflictuelle avec l’esclavage – certains ont préféré quitter la religion de leurs pères pour se tourner vers celle de leurs ancêtres, comme Malcolm X qui se convertît à l’islam en prison – le Christianisme a joué, et continue de jouer un rôle primordial dans la lutte contre le racisme. L’auteur se demande si le peuple afro-américain existerait aujourd’hui sans l’Église noire. Pour moi, la réponse est non. Sera-t-elle encore d’actualité demain ? Elle n’a pas le choix. Tant que les Afro-Américains continueront d’être assassinés par les forces de police en plein jour devant les caméras ou dans leur sommeil comme ce fut le cas pour Breonna Taylor, une ambulancière de 26 ans, l’Église noire sera indispensable. Elle est l’âme du peuple noir d’Amérique. Amen.

La force de l’ouvrage réside dans la façon dont Gates replace l’Église noire au centre de chaque moment clé de l’histoire afro-américaine. Grâce à une narration vivante et à une érudition impressionnante, Gates signe avec Black church une exploration passionnante du rôle politique, culturel et spirituel de cette institution fondatrice de la communauté afro-américaine. L’ouvrage s’impose comme une lecture incontournable pour comprendre l’histoire et l’identité afro-américaine.

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Chroniqueuse : Éliane Bedu

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