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L’histoire de l’unité italienne, désignée par l’expression de Risorgimiento (littéralement, « la Renaissance ») reste assez mal connue en France. Au milieu du XIXe siècle, l’Italie n’existe pas encore. Après l’exil de Napoléon, le pays est une mosaïque d’États, au nord le Royaume de Piémont Sardaigne, au sud celui des Deux-Siciles et, entre les deux, les vastes États pontificaux ainsi qu’une poignée de duchés indépendants. Quant au royaume de Lombardie-Vénétie, il appartient alors à l’Empire d’Autriche… Pas facile de s’y retrouver sans une carte sous les yeux !

Le choc des deux mondes

C’est dans le contexte troublé de l’unification italienne que débute le nouveau livre de Giuseppe Catozzella, auteur d’une biographie remarquée de Saamiya Yusuf Omar, sprinteuse somalienne qui avait représenté son pays aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008 afin de périr de façon tragique en Méditerranée alors qu’elle cherchait à atteindre l’Europe (Ne me dis pas que tu as peur, Seuil, 2014). Avec le roman Brigantessa, l’écrivain s’intéresse cette fois au destin d’une autre femme hors du commun, Maria Oliverio, dite « Ciccilla ». Cette dernière naît en 1841 dans une famille pauvre de six enfants, sur le plateau de Sila en Calabre, région alors sous l’autorité de Ferdinand II de Bourbon. Son père est journalier, sa mère tisserande au service de la Comtesse Gullo. La vie n’est pas facile, si bien que les parents ont été contraints de faire adopter Teresa, leur aînée, par une riche famille aristocratique, dans l’espoir qu’elle connaîtrait un avenir meilleur. Mais en 1848, le peuple napolitain se soulève contre les Bourbons. Les parents adoptifs de Teresa sont tués, obligeant cette dernière à retourner dans sa famille natale. On assiste alors à un saisissant choc de deux mondes :

Maman se mouvait chez elle comme une invitée ; tout en préparant le repas, elle observait cette fille qui lui était inconnue, ou presque. Elle s’efforçait de comprendre en scrutant ses petits yeux, comment cette femme de dix-neuf ans avait réussi à sortir de son corps.

Teresa, habituée au luxe depuis son plus jeune âge, ne peut se résoudre à ce déclassement brutal et semble bien décider à le faire payer à ses proches, en particulier à sa sœur Maria, dont elle jure de « gâcher la vie »

Le destin d'une italienne

Giuseppe Catozzella s’est plongé dans les archives pour retracer de façon crédible la trajectoire de Maria Oliverio qu’il décide de laisser s’exprimer à la première personne dans une vibrante confession qui, au-delà de son évidente dimension politique, n’est pas dénuée d’un certain lyrisme, notamment dans la description de la nature et du cycle des saisons. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser, le roman ne se focalise pas uniquement sur la « carrière » révolutionnaire de la jeune femme, sa fuite dans la forêt et son quotidien au côté de ses compagnons de brigandage. Les deux premiers tiers de l’ouvrage s’attachent à mettre en lumière les jalons qui ont rendu ce basculement dans la criminalité inéluctable. Au-delà du destin singulier de Ciccilla, ce sont les espoirs déçus de millions de laissés-pour-compte qui se lisent en filigrane. Galvanisés par les discours et les promesses de Garibaldi, beaucoup ont cru à des lendemains meilleurs. Mais une fois les Bourbons écartés et l’Italie remise en 1860 entre les mains de Victor Emmanuel, le quotidien reste toujours aussi précaire pour ceux qui avaient pris les armes afin de gagner leur émancipation : « C’étaient donc toujours les mêmes familles qui commandaient […]. Rien n’avait changé, et la meilleure façon de désamorcer une révolution consistait à la faire. ». Implacable illustration de la célèbre sentence de Tancredi dans « Le Guépard » de Giuseppe Tomasi di Lampedusa : « Il faut que tout change, pour que rien ne change ».
Brigantessa offre un subtil mélange de drame familial et de fresque historique : passions, trahisons et crimes se mêlent avec en toile de fond l’Italie qui naît, la nouvelle Italie longtemps rêvée mais qui ne parvient pas hélas à se débarrasser de ses oripeaux d’injustice. Refusant la fatalité d’une histoire qui, vue d’en bas, semble toujours tourner dans la même direction, Ciccilla et son mari Pietro luttent pour montrer que le peuple n’a pas dit son dernier mot. En rançonnant les notables qui les exploitent afin d’aider les paysans pauvres, ils n’ont pas le sentiment de voler, mais simplement d’opérer une juste redistribution des richesses. Après son arrestation, Ciccilla enfermée dans sa cellule ne regrette rien de son combat :

Nous nous sommes battus pour ce qui nous appartenait et nous avons perdu. Pourtant nous avons gagné la guerre la plus importante : nous avons cru que c’était possible.

Image de Jean-Philippe Guirado

Jean-Philippe Guirado

Catozzella, Giuseppe, Brigantessa, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Buchet Chastel, Littérature étrangère, 05/05/2022, 1 vol. (384 p.), 22,50€

 

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