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« Ce que peut un cœur » : roman de l’indicible

Julien Burri, Ce que peut un cœur, Éditions La Veilleuse, 22/08/2025, 144 pages, 16€

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Une rencontre, un carton, un regard. C’est ainsi que commence le récit sinueux de Ce que peut un cœur, œuvre dans laquelle Julien Burri interroge le regard porté sur les morts, et surtout, celui que les morts renvoient aux vivants. Entre narration intime et réflexions philosophiques, ce roman tisse un chemin narratif lent, précis, hanté par les thématiques de la peau, de la mémoire et de la représentation du corps.

Apparition du corps sans nom

Tout commence par une voix, celle de C., une artiste qui confie au narrateur une histoire gardée secrète depuis des décennies. Un carton à dessin, posé sur un chariot, contient les traces d’un passé enfoui : les études et les clichés d’un cours d’anatomie suivi au printemps 1989. Surgit alors de ces feuillets la figure spectrale et obsédante qui hantera tout le roman : le corps d’un jeune homme de vingt-trois ans, écorché, mis à la disposition des étudiants des beaux-arts. Ce mort sans nom, au-delà de sa matérialité crue, s’impose par la force d’un regard invisible, une présence qui semble interroger le vivant depuis l’autre rive. La surface du papier devient le lieu d’un impact sensoriel profond, et l’acte de voir se mue en une responsabilité. Le livre s’ouvre ainsi sur une question éthique et fondatrice, celle de la légitimité du narrateur à s’emparer d’un silence : « Est-ce que j’ai le droit de raconter cette histoire qui ne m’appartient pas ? ». Cette interrogation irrigue chaque page, transformant l’écriture en une éthique de la distance, une approche patiente et quasi archéologique du mystère d’une vie tue.

Une architecture de l’absence

La narration de Ce que peut un cœur progresse moins en ligne droite qu’en strates successives. Au fil conducteur de l’enquête, qui mène le narrateur dans les instituts d’anatomie et les archives cantonales, se greffent les éclats d’un « Petit conte noir », fable allégorique sur une peau cherchant son porteur, ainsi que de vastes plages méditatives sur l’histoire de l’art et le corps. Adoptant la méthode même de son personnage C., Julien Burri procède par montage, par collage, assemblant des fragments de réel, de mémoire et de fiction. Chaque visite, chaque document consulté s’ajoute au tableau, à la manière des chirurgiens attentifs de La Leçon d’anatomie de Rembrandt, qui construisent un savoir collectif autour d’un corps silencieux. Le récit se regarde écrire, devenant ainsi la chronique sensible de sa propre construction. La narration ne cherche pas à résoudre une énigme, mais à accompagner un corps absent, à lui tresser une seconde peau de mots, où la mémoire personnelle et l’histoire de l’écorché s’entremêlent jusqu’à devenir indiscernables.

La fraternité des écorchés

Dans ce dialogue avec le défunt, le corps du narrateur se dévoile. L’évocation d’une enfance queer, de la maladie, de la vulnérabilité, trouve une résonance puissante dans la figure du jeune homme renié par sa famille. Son corps, exclu des rites funéraires, devient l’emblème des existences marginalisées. La figure de l’écorché convoque au passage le spectre de Marsyas, dont la peau fut le prix de son art. Mais ici, le mythe s’inverse : le regard de l’artiste ne détruit pas, il est la condition d’une possible réapparition. En se gardant de toute conclusion hâtive, l’écriture de Julien Burri accomplit un geste d’une infinie justesse : il ne remplit pas un vide, il apprend à le regarder. Par cet acte de sépulture symbolique, le texte restitue non pas une identité perdue, mais la dignité d’une présence. Le roman nous apprend, avec lui, à voir la trace fulgurante du vivant dans l’épaisseur de l’absence.

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