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Cécile Berly, Elles écrivent : Les plus belles lettres de femmes au XVIIIe siècle, Passés Composés, 14/02/2024, 283 pages, 20,00 €

Spécialiste de Marie-Antoinette, autrice de La légèreté et le grave, et Guillotinées, Cécile Berly explore dans ce dernier opus la correspondance féminine du XVIIIe siècle. Ce sont neuf femmes célèbres dont elle explore ici les écrits de manière chronologique, et pas des moindres : Madame du Deffand, Madame de Pompadour, Catherine II de Russie, Isabelle de Bourbon-Parme, Marie-Thérèse d’Autriche, Madame Roland, Marie-Antoinette, Germaine de Staël. Elle contextualise chaque correspondance, et brosse le portrait de chacune des épistolières, avant de proposer au lecteur une belle sélection de lettres.

Un espace de liberté pour les femmes

Toutes ces femmes présentes dans le livre ont beaucoup écrit, pour des destinataires aux quatre coins de l’Europe. Cette activité littéraire tenait une grande place dans leur vie quotidienne. Quelle qu’en soit l’intention, le désir d’écrire leur permettait d’exercer une forme de pouvoir, qui les a conduites à rédiger des milliers de lettres. Celles-ci, qui n’avaient pas vocation à être imprimées ou diffusées, ont constitué le genre féminin par excellence. Ces lettres apparaissent comme « la forme la plus aboutie de l’écriture de soi« , selon Cécile Berly, et ont offert aux femmes un vaste espace de liberté, leur permettant d’exprimer toutes les nuances des émotions qui les traversaient. Elles ne pouvaient ambitionner d’être publiées et lues massivement, en raison du risque de se retrouver exposées et maltraitées par les hommes. La publication d’écrits féminins ne pouvait mener qu’à l’ostracisation, à une époque où la littérature était l’apanage des hommes, et Choderlos de Laclos, dans Les liaisons dangereuses, dépeint sous les traits de Madame de Merteuil une épistolière aussi perverse que dangereuse, capable des pires manipulations. Les femmes ont intériorisé cette injustice. Les grandes œuvres circulant dans l’espace public étaient réservées aux hommes. Les femmes avaient accès à l’écriture de lettres et de journaux intimes, ainsi que de petits romans jugés indignes d’être lus.

Les salonnières

Extrêmement brillante, Madame du Deffand tenait un salon très renommé, où s’exerçait l’art de la conversation, prolongement de celui de la lettre, dans lequel elle-même excellait. Le bel esprit y jouait un rôle essentiel. Luttant contre l’ennuie et la mélancolie, elle y recevait les élites intellectuelles du royaume, comme d’Alembert, Montesquieu, Diderot, Helvétius, Grimm, Turgot ou Condorcet. Y venaient également des figures éminentes, la duchesse de Luynes, la maréchale de Luxembourg, le duc et la duchesse de Choiseul et le prince de Conti, ainsi que bon nombre d’ambassadeurs. La lecture des lettres était le moment le plus important de ces soirées. Après une jeunesse plutôt libertine, elle avait vécu recluse en raison de diverses infirmités, dont la cécité, faisant appel à Julie de Lespinasse, devenue sa dame de compagnie. Le style des lettres de Madame du Deffand, vif, élégant, incisif, fait d’elle l’une des plus belles épistolières de son époque.

Julie de Lespinasse, amie intime de d’Alembert, souffre comme lui d’une naissance illégitime, que lui reproche Madame du Deffand au moment de leur brouille, bien qu’elle l’ait ardemment sollicitée. Au début, elle satisfait totalement sa protectrice, par son caractère, son esprit, sa repartie. Elle fait montre d’idées beaucoup plus progressistes que la voltairienne Madame du Deffand, qui finit par la chasser de manière aussi violente que définitive. Grâce à ses amis, Julie parvient à louer un appartement. La petite vérole l’enlaidit et lui cause des problèmes de vue, mais le fidèle d’Alembert s’installe chez elle et lui sert de secrétaire. Dans le même temps, elle reçoit dans son salon, dont le succès concurrence celui des salons les plus éminents de Paris, et qui devient l’antichambre de l’Encyclopédie, des hôtes de prestige, Condorcet, Suard, Diderot, Marmontel, La Rochefoucauld, Turgot ou Grimm. Tous les sujets y sont abordés. Ce sont des passions amoureuses qui suscitent sa fièvre épistolaire. Julie écrit tous les jours deux sublimes lettres d’amour jusqu’à sa mort, à l’âge de quarante-trois ans.

Les politiques

Mme de Pompadour, que son époque voit comme une figure féminine licencieuse, joue un grand rôle dans l’exercice du pouvoir. Omnipotente à Versailles, elle écrit de manière compulsive d’innombrables lettres et billets à des ministres, ambassadeurs et maréchaux. La recension de sa correspondance montre une lettre adressée à Marie-Thérèse et une autre au pape. L’écriture occupe une place importante au sein de ses innombrables activités. Elle date et signe rarement ses lettres mais cajole et flatte leurs destinataires pour les amadouer. Graphie sans soin, brièveté absence de transitions et goût du secret caractérisent ses lettres, dont la longueur s’allonge au moment de l’éprouvante guerre de Sept ans. Ses messages composent un portrait iconoclaste de la favorite, très loin de l’apparente futilité. On peut y lire sa préoccupation constante pour les affaires de l’État, son souci de ne pas relayer les idées des Lumières, son influence et la confiance témoignée par le roi, qui en font selon Cécile Berly la première femme politique de notre histoire.

Catherine II écrit énormément. Des milliers de lettres qui manifestent un réel talent d’épistolière, en trois langues, allemand, russe et français, la dernière étant celle qu’elle maîtrise le mieux à l’écrit. Elle invente des néologismes, se nourrit de la lecture des historiens et des philosophes et met en relation sa culture livresque avec sa stratégie politique, la connaissance constituant un outil de pouvoir. Écrire aux intellectuels de son temps devient une manière de contribuer au développement de l’empire russe. Elle écrit aussi ses Mémoires, de petites comédies, des drames, des poèmes, un essai pédagogique, des pamphlets anonymes, traduit Shakespeare en russe et rédige L’instruction sur la confection d’un nouveau Code, inspiré par Montesquieu, où elle exprime l’idée que l’empire russe se fonde sur des lois, le monarque étant le législateur suprême. Ses lettres et son œuvre littéraire reflètent la complexité de sa personnalité.

Marie-Thérèse d’Autriche donne à sa fille, dont elle exige une soumission totale, un Règlement à lire tous les mois, suite d’ordres, consignes et recommandations. Chef d’État autocratique, qui a négocié stratégiquement les mariages de ses enfants, Marie-Thérèse attend beaucoup de celui de la jeune Marie-Antoinette, destiné à garantir la paix entre la France et l’Autriche. Elle impose à sa fille une correspondance qui se double d’un vaste réseau d’espionnage que la dauphine ignore. Ses courriers constituent une étonnante forme de vampirisation qui révèle l’obsession de la mère pour la conception d’un héritier mâle par la fille, descendance dont dépendent les équilibres politiques et militaires de l’Europe. Brutale, sévère, inquisitoriale, Marie-Thérèse est aussi une mère qui aime profondément ses enfants. Sa mort, en 1780, laisse sa fille désemparée.

Marie-Antoinette, Madame Roland, Germaine de Staël, Isabelle de Bourbon-Parme constituent les autres figures de femmes, brillantes ou émouvantes, dont la correspondance a laissé des traces. Qu’elles aient joué un rôle politique ou littéraire, qu’elles aient vécu de grandes histoires d’amour, qu’elles soient mortes prématurément ou aient pu vivre leur vie, elles revivent grâce à la plume de Cécile Berly, dans ce texte qui s’attache à réhabiliter l’écriture féminine. Sous les images d’Épinal, on redécouvre l‘intelligence de la plupart d’entre elles, et la richesse de leur production littéraire, parfois éclipsée par les accusations de futilité dont elles ont fait l’objet, ou, dans le cas de la tsarine, par sa dimension politique. La sélection de lettres permet d’entendre leur voix, étouffée ou oubliée. Une belle entreprise, qui s’inscrit dans les tentatives actuelles de remettre en lumière des figures féminines trop longtemps laissées dans l’ombre.

Image de Chroniqueuse : Marion Poirson

Chroniqueuse : Marion Poirson

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