Temps de lecture approximatif : 3 minutes

Cécile Oumhani, Les tigres ne mangent pas les Étoiles, Elyzad, 17/05/2024, 1 vol. (144 p.), 16,50€

La narratrice, sans doute l’alter ego de l’auteure, est dans un avion qui l’amène vers l’Inde où elle est attendue pour une conférence à Chennai, le nom tamoul pour Madras. Quittant l’Europe, elle survole la région entre le Tigre et l’Euphrate, cette Mésopotamie connue pour son passé glorieux et son présent fait de ravages et de désolations. Le voyage ne se déroulera pas selon son plan initial car elle rate sa correspondance à Bahreïn. Mais à quelque chose malheur est bon puisque cet événement malencontreux, et surtout une rencontre tout à fait inopinée, sont à l’origine de sa narration.

L’énigme du collier indien

La narratrice accorde une grande importance à ce vol puisqu’il l’amène vers la terre natale d’un père qu’elle vient de perdre et dont elle porte encore le deuil. Elle a dans son sac un collier qu’il avait gardé sa vie durant au fond d’une boîte à chaussures parmi d’anciennes photos jaunies. Sa conférence est une opportunité qui s’offre à elle pour qu’elle tente d’élucider l’énigme de ce bijou et savoir s’il recèle un secret de famille. Les tigres ne mangent pas les étoiles s’annonce à la fois comme une quête et une enquête.

S’il avait disparu d’un point de la planète, j’allais forcément découvrir un fragment de lui ailleurs, à travers le pays où il avait vécu les premières années de son enfance. Nous sommes de passage, c’est un fait. Mais tout ne peut pas s’évanouir complètement.

Son vol reporté au lendemain, la narratrice est contrainte de passer une nuit au Silver Jasmine Hôtel. Elle fait alors la connaissance d’une passagère qui vient de rater sa correspondance pour Kaboul. Cette présence féminine ne dissipe pas l’angoisse qu’elle éprouve d’être à une trentaine de kilomètres de la frontière saoudienne.

La menace toute proche d’un pays que j’associais à une misogynie séculaire planait sur nous. Lire son nom au bord de la route suffisait à me plonger à l’intérieur d’un boyau étroit, où, ma voisine et moi, nous allions devoir nous faufiler en apnée. Inquiète et assombrie, elle était claquemurée dans ses pensées.

Une Shéhérazade afghane

L’histoire du collier indien est vite reléguée au second plan. Meena l’Afghane se taille la part du lion dans Les tigres ne mangent pas les étoiles et en devient la vraie protagoniste. C’est qu’elle traîne avec elle toute la tragédie d’un pays dévasté par les guerres et l’obscurantisme religieux. On la suit partout, on découvre sa saga familiale, on fait la connaissance de son frère, de son mari, et on l’accompagne dans son exil périlleux vers l’Europe occidentale qui s’achève en Allemagne.

Surmontant sa fatigue, et son agacement du début, la narratrice se laisse happer par le récit de la Shéhérazade afghane. Et puis, les deux femmes ont le même combat qui les anime : celui des femmes, de toutes les femmes victimes d’une époque corsetée dans ses a priori. Meena fait ce voyage à Kaboul pour revoir son père mourant et lui poser des questions qui lui brûlent les lèvres, questions étroitement liées à la condition de la femme en Afghanistan, et dans la plupart des pays arabo-musulmans. La nuit passée à Bahreïn lui permet de tisser sa toile jusqu’au bout, pour le grand bonheur de la narratrice qui écrit :

Je craignais qu’elle ne décide de terminer là son récit (…). Au bout de quelques minutes, elle a repris, sur un ton plus bas. Son débit s’accélérait. Elle aussi sentait les heures se rétrécir.

L’humanité en partage

Dès les premières lignes de ce roman, – que j’ai lu d’une traite, – la frontière entre la prose et la poésie se révèle plus que poreuse, pour ne pas dire inexistante. Les deux femmes découvrent également qu’elles ont la même passion pour la poésie persane. Elles se posent une question à la fois mystique et métaphysique, question qui restera en suspens pour l’éternité : « Qu’est-ce qui subsiste de nous, de l’enfance, après tant d’années ? » Après le départ de Meena pour Kaboul, la narratrice résout l’énigme du collier tout en nous dévoilant l’origine du beau titre de ce roman Les tigres ne mangent pas les étoiles.

Comme l’exprime Nicolas Bouvier, l’auteur de l’Usage du monde, « On croit qu’on va faire un voyage mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait« . Les morceaux du puzzle se mettent en place comme par magie. La narratrice achève enfin son deuil et comprend que « Rien ne se perd tout à fait, tant qu’on a notre mémoire », que son père vivra tant qu’elle-même sera en vie. Parfaitement apaisée, métamorphosée, elle pourrait dire que ce voyage l’a faite, ou l’a défaite, ce qui revient souvent au même.

Les Tigres ne mangent pas les étoiles est un roman à lire absolument ! 

Cécile Oumhani est poète et romancière. Après des années d’enseignement universitaire, elle se consacre à l’écriture, investissant des cultures autres. Elle a reçu de nombreux prix littéraires et l’ensemble de son œuvre a été honoré du Prix européen francophone Virgile.

Image de Chroniqueur : Fawaz Hussain

Chroniqueur : Fawaz Hussain

NOS PARTENAIRES

Faire un don

Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.

You may also like

Comments are closed.