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À travers la confession d’un jeune homme qui lutte pour se réapproprier son corps, Frank Hériot offre au lecteur une expérience poignante qui ne le laissera pas indemne.

Charles, 25 ans, est reporter dans les années 1980. Avec son ami Philippe, ils travaillent en free-lance et proposent leurs reportages aux magazines avides de sensationnel. Le danger, ils y sont habitués : « la guerre, la révolution, la rébellion ça se vend bien, pour peu qu’on n’hésite pas à y plonger jusqu’au cou ». Les deux premiers chapitres sont pourtant à des années-lumière de la violence qui ravage certains pays en proie à des conflits meurtriers. Le narrateur vit en France le temps de l’insouciance et de l’amour dans les bras de l’évanescente Ondine, idylle du temps radieux noué dans le parc d’un château : « un dimanche à la campagne peint par Renoir, s’étirant dans une langueur envoûtante ». Il flotte sur ces pages liminaires un onirisme teinté de surnaturel. Aussi, Charles ne prête-t-il guère attention aux mises en garde d’un énigmatique prêtre vaudou venu de Port-au-Prince qui lui prédit de grandes catastrophes à venir. Pas davantage qu’il n’écoute quelques mois plus tard les conseils d’un vétérinaire, adepte du pendule, qui les presse son ami et lui, d’ajourner leur voyage au Liban.
Mais dès le troisième chapitre tout bascule sans transition. Le narrateur se trouve sur une route dans le désert : leur véhicule a été attaqué, Philippe est à l’agonie et lui-même comprend avec effroi que son corps ne répond plus à l’appel. Ce qui s’est passé au cours des semaines précédentes – le départ, le reportage, les circonstances de l’attaque – a été rayé de sa mémoire. Rapatrié en France, Charles va devoir réapprendre à marcher, mais aussi se réapproprier ses souvenirs, obsédé par l’image d’Ondine, incarnation du passé heureux, qu’il finit par douter d’avoir réellement connue…
L’essentiel du roman se déroule entre quatre murs, dans l’univers aseptisé de l’hôpital et du centre de rééducation. Le lecteur ne s’ennuie pourtant jamais, tenu en haleine d’un chapitre à l’autre par le rétablissement du héros blessé. Franck Hériot – qui s’est fait connaître avec ses polars comme La femme que j’aimais (Le Cherche-Midi, 2009) – a le sens du rythme et parvient à présenter la rééducation de son personnage comme une véritable épopée intimiste, émaillée de victoires et d’échecs, d’épiphanies et ses profondes remises en question. À l’image des scènes de guerre qu’il avait l’habitude de couvrir, le corps de Charles devient son nouveau « champ de bataille ».
L’enveloppe charnelle, que la philosophie et la religion ont trop souvent reléguée à la seconde place, la subordonnant systématiquement à la vie supérieure de l’esprit, se retrouve à nouveau placée au centre de l’attention. Franck Hériot s’inscrit dans la lignée des grands romanciers du corps qui invitent le lecteur à remettre à sa juste place ce qui n’est pas qu’un simple véhicule de la pensée. On pense à Samuel Beckett et à ses descriptions sans pudeur des corps perclus, sénescents comme celui du vieux Molloy qui, perdant progressivement toute mobilité n’est plus défini que par la somme de toutes ses douleurs. Dans Champs de bataille, l’esprit de Charles cavale mais son corps reste à la traîne. Et l’acceptation de ce nouvel état est le combat le plus difficile qu’il doit mener. Devenu « prisonnier d’un corps récalcitrant », il lui faut apprendre à composer avec ses propres limites et trouver malgré tout le chemin de sa libération.

Jean-Philippe GUIRADO
contact@marenostrum.pm

Hériot, Franck, « Champs de bataille », Le Rocher, 03/02/2021, 1 vol. (332 p.), 18,90€

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